dimanche 31 mars 2013

Ce que l'on écoutait en Mars 2013, à usage de nos descendants, partie deux sur deux.


Oui, donc, pour vous prouver que je n'écoute pas que de la musique de chanteuse à pédés, voilà la suite. Le mois de mars a été un très bon cru. Mais jugez plutôt.

FAUVE ≠

Alors, d'abord, clarifions : il y a deux artistes qui s'appellent Fauve. Un chanteur Suisse, et un groupe français. Ou plutôt un collectif : pas de leader, des membres qui gravitent, tout ça. C'est de ce deuxième cas que je vous parle. Ils sortent leur premier EP bientôt, mais en attendant, ils font déjà parler d'eux grâce à la diffusion de quatre chansons, en téléchargement libre sur leur page Facebook. La voix est rauque et sensible, nerveuse et peinée, elle s'inscrit dans une urgence qui caractérise le collectif. Car ce qui marque le plus sont les textes : ils dépeignent avec violence et réalisme les dérives de la société. Et leur prouesse est de le parvenir à le faire sans démagogie et sans militantisme creux. Ils exposent simplement les doutes d'une génération paumée, dans lesquels les auditeurs semblent se retrouver, car leurs mots expriment ces sentiments d'abandon, de dépassement, de vertige que le monde actuel nous apportent. Le tout avec, comme ils le disent avec lucidité, "un optimisme désespéré". La musique, quant à elle, est riche, profonde et variée, elle déconstruit les genres et varie les instrumentations tout en restant mélodieuse et entraînante, sous les scansions du chanteur. Aussi la curiosité quant à leur premier opus est-elle grande. En attendant, leurs quatre morceaux, que vous pouvez retrouver ici, sont une réussite.




Alt-J - An Awesome Wave

Évidemment, puisque tout le monde en parle. Et pour cause, en fait. Le groupe qui fait chavirer les cœurs des hipsters et des autres (je ne sais pas encore bien dans quelle catégorie je me situe, j'y réfléchis), par leur façon décalée de faire de la musique. Leur musique recèle une originalité formelle peu commune, que ce soit au niveau de l'album, divisé en interludes, des morceaux, à la structure souvent surprenante, ou de la musique, aussi légère que travaillée. Leurs inspirations sont diverses, du cinéma à l'actualité, mais ils parviennent à toujours y mettre une empreinte indéfinissable qui leur est propre. Ainsi entrera-t-on avec aisance et plaisir dans leur monde psychédélique en noir et blanc, avec l'hypnotique "Tessellate", l'enthousiasmante "Breezeblocks", la douce "Matilda", l'authentique "(Interlude 1)", et on lâche totalement prise sur la très riche "Intro" ou l'entraînante "Fitzpleasure". Le timbre de voix particulier berce et avive à la fois, et ce groupe ultra-trendy signe ici un premier album captivant.



Two Door Cinema Club - Beacon

L'autre groupe à la mode du moment, "Two Door Cinema Club" propose une musique d'une pure pop-rock limpide et claire. C'est en fait exactement ça : le groupe remplit parfaitement le contrat de ce genre, il lui offre un opus qui le définit presque. Les guitares rencontrent la batterie, et avec la voix masculine, entre l'aigu et le grave, naissent des chansons dansantes de qualité, telles que "Sleep Alone", "Sun" ou "Wake Up". Le groupe exprime ponctuellement des mélodies plus recherchées, avec notamment le morceau "The World Is Watching", ou "Settle", qui accomplissent l'exploit supplémentaire d'une touche personnelle qui tient un peu à distance le formatage du genre. Dans tous les cas, le groupe a compris quelque chose, et fournit un album d'un niveau de qualité supérieur, et maintenu à travers toutes les pistes. On peut enfin profiter d'une pop-rock qui se maîtrise et se transcende, et si elle reste presque sagement à l'intérieur de ces limites ("Beacon" signifie "borne" en anglais), elle en exploite le potentiel au maximum. Il n'y a qu'à se réjouir.




Lykke Li - Youth Novels

J'ai parlé la dernière fois de son second album, "Wounded Rhymes". Je me suis penché ce mois-ci sur sa première œuvre, qui elle aussi porte parfaitement son nom. C'est toujours amusant de faire le chemin dans ce sens inverse, quand on découvre un artiste : remonter son évolution jusqu'à ses prémices. On peut conclure que Lykke Li avait déjà du talent, et pour ce premier album, comme beaucoup de musiciens, elle expérimente énormément, et son disque apparaît comme un patchwork de chansons-vignettes qui chacune explore presque un genre musical différent, quasiment toujours avec brio. On appréciera donc l'électro, scandée dans "Complaint Department" ou "I'm Good, I'm Gone", l'inclusion de jazz dans "This Trumpet In My Head", l'intimiste "Melodies & Desires", la pop réjouissante de "Dance Dance Dance" et "Little Bit". Le tout est cependant régi par un entrain et un dynamisme, parfois boudeur, parfois joyeux, mais qui en veut toujours. La chanteuse suédoise s'est donc beaucoup amusée, et nous avec, avant de se recentrer sous l'égide de ses "Wounded Rhymes". Maintenant, il faudra reprendre le cours normal de son chemin avec le prochain album...





Et pour finir dans la joie et la bonne humeur ... ICONA POP ! I DON'T CAAAAARE !  I LOVE IT !!!!!!!!!!




samedi 30 mars 2013

Ce que l'on écoutait en Mars 2013, à usage de nos descendants.

(Hé, vous en faites pas, demain, je parle d'autres albums, je suis pas si monoïdéique.)

Zazie - "Cyclo"

Oui, bon. Vous vous souvenez tous douloureusement que Zazie et moi, c'est une longue histoire d'amour à travers les âges, qui est passée par cinq albums, onze concerts (oui, onze, bon, ça va, j'étais jeune), une paire de rencontres incroyables et quelques folies belges. Sauf que c'était fini ! Après "Za7ie", qui pêchait par le manque de rigueur associé à son ambition, un concert roubaisien pas terrible, et globalement un changement de goûts musicaux, je m'étais dit que voilà, bon, Zazie, c'était bien mignon, mais que maintenant, moi, je n'en aurais plus rien à foutre, de ses cheveux longs, ses néologismes, sa démagogie et ses pantalons en cuir. Et puis Zazie s'est recentrée en un huitième album. Elle en a diffusé quelques chansons, en avant-première, au goutte-à-goutte (peinant en fait à trouver un single, mais chut, faut pas le dire). Avec les premières, je tenais bon. Et puis vint la chanson éponyme de l'album, "Cyclo". Et bim, dans ta gueule. Je crois que je n'aimerais pas Zazie si je l'entendais pour la première fois aujourd'hui, maintenant que je carbure à coups de Florence + the Machine et Björk. Mais là, "Cyclo", bon, la conclusion s'est imposée : ce n'était pas fini.




On peut reprocher énormément de choses à Zazie. C'est très facile, même : la lente décrépitude de la qualité de ses textes au fil des albums, sa formidable démagogie une fois plus, et sa capacité à s'inspirer du meilleur mais à se limiter au moyen. Mais il y a quelque chose que l'on ne pourra pas lui ôter : sa faculté à la prise de risque. On l'a vu récemment donc avec son album précédent qui souhaitait réunir 49 titres répartis en 7 EP, selon un concept malhonnêtement suivi par la maison de disques qui a voulu tirer le plus de lait possible de l'affaire et s'en est mordu les doigts, malgré la qualité respectable d'un album trop foisonnant. Mais cela remonte aussi à "Rodéo", accompagné d'un DVD de clips tournés en Inde pour toutes les chansons, à "La Zizanie", octogonal et promu par des crieurs à l'ancienne dans les rues... Et pour "Cyclo", après la petite baffe que la belle s'est prise à cause de la médiocre promotion de "Za7ie", Zazie a évité le piège qui lui ouvrait grand les bras, à savoir pondre vite fait bien fait une douzaine de chansons dans la veine de ce qu'elle sait faire, sans trop se fouler, pour rapidement faire oublier l'opus précédent.

(mais ça, c'était avant.)

Mais elle a su se remettre en question, et mettre fin à ses associations musicales qui l'enfermaient constamment dans une franchouillardise pas toujours reluisante, pour se diriger enfin, enfin, enfin vers ses premières amours : la musique façon anglosaxonne. Pour ce faire, elle travaille avec Olivier Coursier, du groupe AaRON, et fait mixer son album par Tony Hoffer. Oui, bon, pas trop mal, déjà. Et avant la sortie, les critiques s'accordent à le dire : "Cyclo" sera une prise de risque sans précédent, une rupture avec l’œuvre antérieure de la chanteuse, un opus loin des affres commerciaux. D'ailleurs, Zazie, un peu décontenancée par ses propres changements, peine à sélectionner un single efficace.


Et donc l'album est dévoilé. Ce qui est sûr, c'est qu'effectivement, Zazie change de style. Elle se jette enfin à plein corps dans l'électro avec laquelle elle ne faisait que flirter timidement jusqu'ici, et Olivier Coursier met enfin une couleur plus adulte, plus complexe et plus profonde à sa musique. C'est ce que tous les journalistes répèteront à Zazie : "Dites donc, il est bien sombre, votre album", et la grande de rabâcher que ce n'est pas parce que c'est sombre que c'est triste. Enfin, Zazie s'individualise, sort un peu des sentiers battus de la variétoche et offre une musique qui semble plus en accord avec ce qu'elle a toujours voulu faire. A ce titre, l'ensemble de l'album marque d'abord par sa grande homogénéité : tout est teinté de la même mélancolie méfiante, c'est un travail extrêmement cohérent, et qui demande à l'auditeur une concentration plus importante pour cerner certains morceaux qui se mêlent. Les arrangements sont surprenants, tant ils habillent des morceaux dont on peut presque parfois sentir la version simple qu'ils ont failli être : de la musique facile, sympathique mais sans grand intérêt. On a eu chaud.


Que les choses soient claires, ce n'est pas non plus la très grande révolution. Les thèmes sont souvent presque galvaudés : "Si Tu Viens" semble la suite de "Vue du Ciel" ("Totem", 2007), "Je Ne Sais Pas" une redite de "Homme Sweet Homme" (Zen, 1995), et même "Cyclo" développe "Yin Yang" ("Totem", toujours 2007). Mais Zazie s'en défend, elle sait ce qu'elle a à dire, et je pense comme elle que tout artiste n'a en fait que très peu de choses à exprimer, qu'il répètera et nuancera toujours dans ses œuvres. Musicalement, également, on retrouve quand même une continuité avec ce qu'elle avait commencé à la fois dans "Ma Quête" ("Za7ie", 2010), ou ponctuellement auparavant ("07 Déc.", "J'Arrive"...). Si cela empêchera parfois d'accéder pleinement à quelques pistes, on a surtout l'impression paradoxale, encore une fois, que Zazie, au lieu de s'enfermer sur ce qu'elle fait, tend plutôt à réaliser ce qu'elle a toujours voulu dire, mais avec une liberté accrue, notamment dans la forme avec des morceaux qui dépassent allègrement les cinq ou minutes, loin du formatage auquel elle s'était habituée, et une lucidité supérieure dans le fond. Elle n'y est pas encore totalement ; mais elle s'en approche, et cette évolution artistique est plutôt touchante.


En ce qui concerne les chansons à proprement parler (oui parce que bon, je vais arrêter de disserter sur ma chanteuse des années 90, on est bien d'accord), les textes sont globalement décevants ("Mademoiselle"), d'autant plus si on avant la folie d'attendre encore quelque chose de Zazie à ce niveau : on peut juste saluer la légère libération dont elle fait preuve dans l'écriture et se réjouir que dans le meilleur des cas, la simplicité sera utilisée à bon escient. Par exemple, j'ai donc déjà parlé de "Cyclo", longue piste de presque six minutes, et qui touche, inexorablement, incroyablement : la sincérité du texte s'accorde avec une musique hypnotique et douce, Zazie s'approche de la sainte congruence entre le fond et la forme. A côté de ça, beaucoup de balades, que ce soit presque larmoyant façon diva française à la façon de "Je ne sais pas", ou plus introspectif et développé comme "Vienne La Nuit" ou "Temps Plus Vieux". Les morceaux plus pêchus, l’enthousiasmant "Tout" et l'exutoire "20 ans", se caractériseront donc par leur message sombre chanté avec allégresse, prometteurs de bons moments en concert. (Oui bon ok j'ai pris mes places. (Oui bon ok pour deux dates. (CA VA, HEIN.))). Et puis des chansons comme "Les Contraires", où là encore la simplicité du texte se marie étonnamment bien avec une musique qui résonne dans tous les sens du terme, ou encore "Si Tu Viens", invitation exaltante, sait, comme beaucoup de morceaux de l'album ("Où Allons-Nous", "Vienne la Nuit"), prendre son temps et monter en intensité pour une émotion décuplée.


Bon, je vais conclure là mon laïus qui n'intéresse que moi. Je vais même résumer pour l'immense majorité d'entre vous qui n'avez pas tout lu (et heureusement, j'espère que vous avez mieux à faire. Je ne vous cache pas qu'au début, je devais ne faire qu'un paragraphe. Bon.). "Cyclo" est un album intéressant, qui rompt effectivement avec ce que la chanteuse a fait jusqu'alors, au moins dans la forme. C'est plutôt chouette de la voir s'approcher enfin de ce qu'elle veut dire, avec une liberté renouvelée. Je n'aimerais pas Zazie si je la rencontrais aujourd'hui, mais avec "Cyclo", je retiendrais peut-être son nom pour voir ce qu'elle fera ensuite. La suite de sa carrière est redevenue intrigante et pleine d'espoir.

vendredi 29 mars 2013

"Les Amants Passagers" ("Los Amantes Pasajeros"), Pedro Almodóvar

Et donc le nouvel Almodóvar, celui dont on entend parler depuis des mois et dont on a vu mille fois la bande-annonce. Oui, je fais dans les comédies, en ce moment, ça me change, il faut sortir de sa zone de confort, je vais même peut-être bientôt passer aux blockbusters. Non, je déconne.


La conclusion qui s'impose, c'est que notre ami Pedro s'amuse beaucoup. Il donne l'impression que là, au sommet de son art et de sa célébrité, et après l'excellent et très sombre "La Piel Que Habito", il a surtout envie de déconner, lui aussi. Et heureusement, il nous divertit en même temps. Le film, à première lecture, parle donc avant tout des passagers d'un avion qui n'a pas l'autorisation d'atterrir à cause d'un problème technique : la seconde classe est endormie, tandis que la première classe s'acoquine avec l'aide des stewards et de drogues diverses. Il faut avouer que dans ces conditions, si ce n'était pas le grand Almodóvar aux commandes, on pourrait prendre peur, faire preuve de scepticisme ou ne pas du tout entrer dans le délire. Mais en fait, le charme opère.


La comédie fonctionne donc allègrement, à l'aide de personnages souvent un brin stéréotypés mais dont la totale libération sexuelle fait plutôt plaisir à voir. Le film enchaîne des séquences très drôles, de la chorégraphie à la partouse (vas-y comment je vais gagner plein de visites via Google avec ce mot-clé trop savamment placé!), en passant par toutes les répliques qui font mouche et des clins d’œil réjouissants comme les apparitions brèves de Penelope Cruz et Antonio Bonderas. Le maître ajoute quelques passages touchants, et dilue le tout dans un très joyeux bordel enthousiasmant où les limites sociales ne s'appliquent plus. Bien sûr, on reconnaîtra toujours la patte de l'artiste qui amène couleurs bariolées, composition kitsch et grain latino, bien qu'elle se trouve un peu à l'étroit dans l'espace étriqué du huis-clos.


Alors ensuite, évidemment, on pourra y lire une savante métaphore de la situation politique espagnole, notamment avec les symboles forts de la classe économique sous somnifères tandis que les puissants se trouvent dépassés, et s'amusent comme ils peuvent en attendant le feu vert d'un aéroport accueillant... Votre humble serviteur ne s'y connaissant pas suffisamment en géopolitique hispanique, je m'arrêterai là pour l'analyse, et préfèrerai saluer les performances de l'ensemble du casting, des trois stewards déjantés, Javier Cámar, Carolos Areces, Raúl Arévalo, au séduisant Guillermo Toledo, à la resplendissante Lena Dueñas, et à la douce Blanca Suárez. Ensemble, sous l'aune du réalisateur de talent qui propose une mise en scène le plus souvent limpide, ils donneront lieu à une comédie légère mais intéressante, bordélique mais captivante, simple mais exaltée.



jeudi 28 mars 2013

"Au Bout Du Conte", Agnès Jaoui

Je n'avais pas spécialement envie de voir ce film. Je ne sais pas, le côté "comédie française" probablement. Quelques extraits montrant Bacri enfermé dans le même rôle. Et puis cette affiche un peu dégueulasse. Et ce titre avec un mauvais jeu de mots des années 90. Bon, bon, bon. Et puis en fait, après avoir vu, sous un conseil avisé, le très agréable "Un Air de Famille" de Klapisch avec Jaoui au scénario, c'est pas plus mal, de temps en temps, de délaisser les drames pour leur préférer un film dont il est hautement probable qu'il se finisse bien.


Et pour cause : Jaoui s'amuse beaucoup dans ce nouveau film. Elle prend un plaisir évident et transmissible à réutiliser les référents mythiques des contes de notre enfance, que ce soit par clins d’œil, par indices subtilement cachés ou par intégration complète dans la trame par une amusante actualisation des concepts. On appréciera donc cette traque au conte, qui sait suffisamment se détacher de la niaiserie qui y reste habituellement soudée. Aussi, malgré quelques procédés de mise en scène gentiment kitsch, l'empreinte doucement féérique que prend la réalisation s'avère plutôt agréable, et même parfois enthousiasmante.


Ainsi, Agathe Bonitzer est resplendissante en jeune princesse des temps modernes, bien que la faire embrasser le toujours visqueux et toujours mauvais Benjamin Biolay constitue une sorte de viol cinématographique. (Je ne le dirai jamais assez : Benjamin, contente-toi d'écrire des textes dans un coin, ou alors lave-toi les cheveux, mais c'est au choix.) En face, on retrouve avec plaisir le bel Arthur Dupont, déjà apprécié dans "Mobile Home" ; et bien sûr Jaoui et Bacri en chefs-d'orchestre, dans des personnages centraux mais sans doute moins profonds que les autres : en conséquence, Bacri s'enfermera dans une facilité presque cabotine.


Tous ces personnages se rencontrent dans un véritable chassé-croisé narratif qui constitue une certaine prouesse en matière de scénario. Jaoui prouve ici une bonne maîtrise du film choral, car tous ses personnages existent, et s'intègrent à la fois dans leurs interrelations et dans l'histoire, qui trouve le juste équilibre entre la complexité et la compréhensibilité. Ainsi le rythme ne posera jamais problème en presque deux heures de film, tandis que Jaoui mettra un point d'honneur à réunir quasiment tous les personnages sous le même message polyamoureux final. Si cette sorte de morale apparaît en fait un peu bâclée et facile, il n'empêche que cette comédie est une réussite plaisante, touchante et plutôt fine.



mercredi 27 mars 2013

"La Religieuse", Guillaume Nicloux

Il s'agit tout d'abord d'un roman de Diderot, adapté une première fois en 1966 par Jacques Rivette, puis cette année par Guillaume Nicloux. Il choisit la jeune Pauline Étienne pour incarner Suzanne Simonin, adolescente contrainte par sa famille à entrer dans les ordres, et qui va alors tomber sous la coupe de trois Mères Supérieures successives. Bien que croyante, la jeune Suzanne ne souhaite pas être religieuse et elle souffrira violemment de cette condition imposée.


Dans ce film en costumes, les voiles déposés sur les comédiennes permettent d'encadrer leurs visages et de souligner exclusivement leurs faces. La force du jeu en sera amplifiée : Pauline Étienne est très prometteuse , aussi vive qu'à fleur-de-peau. Isabelle Huppert, Mère Supérieure passionnée, dérangée, folle de désir pour chaque nouvelle recrue, excelle comme d'habitude, sans trop se fouler dans un type de rôle qu'elle maîtrise parfaitement ; tandis que Louise Bourgoin, sans surprise, est extrêmement fausse en religieuse sadique. Les dialogues fusent entre les personnages avec une clarté rare et dépourvue de maniérisme, témoin d'une direction sensible et intelligente.


En voyant ce film juste après "Camille Claudel 1915", il est amusant d'y déceler des points communs, notamment en ce qui concerne l'enfermement. Dans "La Religieuse" aussi, on ressent cette froideur pétreuse, cette solitude marginalisante, cette pâleur diffuse, et ce via une mise en scène sans concession, directe et soignée. Elle se pâme de quelques symboles forts, comme la scène d'entrée de Suzanne dans les ordres, où, étendue à même le sol pour les besoins cérémoniels, elle semble écrasée par le poids de la contrainte. Durant tout le film, on ressentira ainsi pour elle ce conflit interne, aussi pur qu'irrésolvable.


En narrant l'histoire d'une femme parfaitement croyante mais parfaitement sûre de son manque de volonté à être religieuse, le film évite délicatement le réquisitoire contre la religion, et j'en profite pour exprimer tout mon immense désaccord avec Rebecca Manzoni de France Inter qui dresse un raccourci facile et faussé en assurant que ce film est actuel car il parle de femmes voilées forcées à entrer dans la religion, et que "des femmes voilées, il y en a encore" ; arrêtons de déconner, ma chère. Au contraire, on se retrouvera dès lors dans une situation à la fois plus sereine et plus déchirante, où la protagoniste se retrouve écartelée entre toutes ses obligations : c'est sa foi qui lui hurle qu'elle ne peut vivre dans le mensonge. Pourtant la vie lui amène, à chaque retournement de situation qui découpe le film en plusieurs parties quasiment hermétiques, des conditions différentes mais jamais meilleures... L'histoire de Suzanne Simonin ne s'en suivra qu'avec plus d'intérêt.

jeudi 21 mars 2013

"Girls", saisons 1 & 2, Lena Dunham


C'est compliqué, de parler de "Girls". Parce que bon, je vais inévitablement finir par la décrire de la seule façon possible : "Alors ouais en fait ça parle de quatre filles vingtenaires à New York qui vivent leurs vies, quoi." "Ah ouais un peu comme "Sex & the City" ?" "Ouais, c'est un peu comme "Sex & the City" en plus jeune, mais enfin non, pas vraiment, parce que c'est super réaliste, en vrai, et donc c'est complètement différent." "Ouais mais moi j'aime pas trop "Sex & the City", alors que toi ouais, tu vois, donc ça va pas me plaire." "Non mais enfin il faut le voir pour le croire, quoi". Ah, comme je déteste devoir parler de quelque chose qui est super cool mais qui ne sonne pas cool quand on en parle. C'est comme "Buffy" et "Doctor Who" : je sais que ça paraît nul quand j'en parle, mais là, il faut que tu me fasses confiance, il faut que tu goûtes, au moins.


"Girls", c'est avant toute chose Lena Dunham. Lena Dunham, c'est celle qui a créé la série, qui en écrit les scénarios et les dialogues, qui réalise les épisodes et qui interprète le rôle principal. Il n'est pas bien difficile de se douter que les récits de sa série sont largement inspirés de sa propre vie newyorkaise, et elle ne le nie jamais. Dès lors, on comprend mieux son personnage, Hannah, elle aussi auteur, et qui n'a qu'une obsession : trouver sa voix. Dunham, quant à elle, peut se rassurer : en composant "Girls" de toute pièce, avec un soin et une intelligence peu communs, elle porte fièrement, si ce n'est "la voix de sa génération", au moins "une voix d'une génération", comme elle le glisse dans son brillant pilote. Et le parallèle qui s'étend alors entre la rédaction de "Girls" par Lena et celle des essais de Hannah offre une réflexion passionnante sur l'acte d'écriture, comme art, contrainte et façon de vivre.


Parce que sa série marquera d'abord par son réalisme - tout au moins au début. Au petit écran, on n'est malheureusement pas habitué à voir des physiques grassouillets comme celui de Dunham, très souvent nue. C'est, semble-t-il, ce qui plaira aussi au public : enfin, on arrête de faire croire que les filles normales sont forcément toutes mannequins. Et la beauté des autres actrices sera assumée, elle ne sera jamais présentée comme la norme, et parfois même décriée, comme dans le dernier épisode en date où Hannah, en proie à l'angoisse, qualifie sa meilleure amie de "that anorexic Marnie". Le réalisme passe aussi par les situations, formellement anti-glamour : on se contente d'un plan cul un peu désaxé parce qu'on a la flemme de chercher mieux, on reste par confort avec son copain même s'il nous ennuie, on attrape des MST ou on est encore vierge en secret à 21 ans.


Aussi "Girls" aurait pu être exceptionnelle. Mais, comme ses personnages, elle se limitera à son seul potentiel, parce qu'elle choisira rapidement de sacrifier ce réalisme, véritable défi artistique, pour se conforter de plus en plus dans la comédie délicieusement absurde et le drama un peu basique. On sera donc partagé : d'un côté, le plaisir immédiat d'un divertissement plus intense, porté par des personnages de plus en plus caricaturaux comme celui de Shoshanna, interprétée par la très investie Zosia Mamet, et des situations ubuesques cependant compensées par le regard critique des personnages. De l'autre, le regret de voir la série se réduire à une sorte de préquelle de "Sex & the City", modèle à la fois assumé et rejeté, quand elle pourrait devenir une fine analyse sociologique. A ce titre, la distribution peinera parfois à trouver sur quel pied danser, et le jeu en pâtira alors, quoique rarement.


Cependant, même dans ses moins bons moments, "Girls" restera plus intéressante, plus poétique et plus riche que la plupart de ses consœurs. Cela passe d'abord par l'inspiration parfaitement indie de la réalisation, grâce à la grande liberté artistique accordée par l'excellente HBO. On appréciera donc l'honnêteté avec laquelle la série est filmée, mise en scène et en musique, et les rares et inhérentes erreurs de parcours seront complètement excusables : Dunham prend au moins la peine d'expérimenter artistiquement, contrairement à la plupart des séries qui se servent de la caméra uniquement pour enregistrer leurs acteurs. Et surtout, on adorera les dialogues qui, s'ils perdent eux aussi en qualité au fil du temps, sont souvent d'une qualité impressionnante. Et puis, au-delà de tout ça, "Girls" se démarque par une liberté de ton enthousiasmante, rebelle, libératrice et ineffable. Alors faites-moi confiance.



mercredi 20 mars 2013

"Camille Claudel 1915", Bruno Dumont

L'affiche résume parfaitement la situation : ce film est simplement la réunion de Bruno Dumont, réalisateur nordiste émérite à qui on doit notamment l'excellent "Hors Satan", Juliette Binoche, célèbre actrice glamour et naturelle, utilisée ici à contre-emploi, et Camille Claudel, artiste statuaire internée pendant trente ans pour paranoïa.


Bruno Dumont délaisse ici son Nord-Pas-de-Calais tant aimé pour se consacrer à la Provence, l'asile où Camille se retrouve incarcérée de force se situant dans le Vaucluse. Si on le sent moins à l'aise avec ces paysages escarpés et ensoleillés, il les filme avec une pâleur qui pénétrera tout le film, des pierres froides des couloirs au teint cireux de Binoche. Bien entendu, chaque plan relève de la composition picturale, et l'esthétisme froid et contemplatif du long-métrage constitue une de ses qualités les plus probantes. Dumont est à l'aise avec son art : ce qui semble inconcevable pour de nombreux metteurs en scène semble lui venir avec la facilité la plus naturelle, alors que chaque élément de son film pointe vers le même message.


Aussi dessine-t-il le portrait d'une femme enfermée. Camille Claudel ne pourra jamais se poser : chaque moment de tranquillité éphémère sera immédiatement interrompu par une intrusion toujours plus agressive et devant laquelle elle sera toujours plus impuissante. Le rythme est lent bien sûr, mais ennuyeux seulement par l'inclusion du personnage de Paul Claudel, avec ses citations professorales et son obsession pour la religion qui rejoint celle de Dumont, qui semble contraint d'introduire ici encore son plus grand démon. Au-delà de cela, on se réjouira de la puissance d'intelligence de l'enchaînement, avec Juliette Binoche, magistrale, au centre.


Le plus grand exploit de Dumont et Binoche, ici, sera de faire oublier l'ultra-connue Binoche, justement. Elle ne sera que Camille Claudel, cette femme dont on n'aura cure des troubles psychiatriques, tant il apparaît clair que son environnement est bien plus pathogène que sa maladie. Le réalisateur fait d'ailleurs appel à de vraies patientes pour peupler l'asile, créant souvent un sentiment de gêne et d'inconfort signant la réussite de ce pari risqué. Le regard sur la folie ne sera jamais réducteur, mais, à travers les yeux de Juliette et de Camille, purement réaliste. Si la reconstitution biographique amène bien sûr des questionnements, elle semble suffisamment documentée, et contribue à faire de ce nouvel opus une œuvre forte, anxiogène, révoltante et belle.


samedi 16 mars 2013

"The Sessions", Ben Lewin

La date de sortie résonne avec l'actualité, particulièrement injuste envers la situation des personnes en situation de handicap, demandeuses à juste titre de la légalisation de l'assistance sexuelle.



Il y avait fort à craindre qu'avec un tel sujet, le film tourne vite dans la comédie romantique mièvre, dans les clichés larmoyants et/ou dans le militantisme creux. Il n'en est rien ; "The Sessions" est avant tout une histoire vraie, avec tout ce que cela comporte toujours d'ajout fictionnel, certes, mais c'est sans doute de là qu'il puise une telle justesse. Il est basé sur un essai rédigé par Mark O'Brien, personnage principal du film, qui a existé : poète gravement handicapé dès le plus jeune âge par la poliomyélite, il a effectivement eu recours à Cheryl Cohen-Greene, assistante sexuelle qui lui a fait perdre sa virginité. Dans le film de Lewin, O'Brien est joué par un acteur valide, ce qui est peut-être regrettable, John Hawkes, brillant en paralysé ironique, et Cohen-Greene par Helen Hunt, entière et honnête. Le film, en abordant des sujets si intimes et complexes, se centrera sur le rapport humain, sous toutes ces formes, et à ce titre, les dialogues résonneront d'une évidence claire et directe, entre des personnages humbles et construits (mention à William H. Nacy et Moon Bloodgood), développant entre eux des relations profondes et respectueuses.


Aussi "The Sessions" est une réussite. S'il ne constitue pas un bijou de mise en scène, il parvient néanmoins à poser son histoire de façon extrêmement nette. Il n'impose pas son point de vue mais présente simplement celui du protagoniste, et il assume sereinement la vastitude de son thème. Cela ne le met pas à l'abri de quelques facilités, bien sûr, et certaines conséquences paraissent parfois un brin infondées, et d'autres points trop appuyés. Mais il sait faire preuve de suffisamment de réalisme et de franchise pour éviter les plus gros pièges, et la délicatesse avec laquelle le scénario se déploie corrige ces légers faux-pas. On suit avec plaisir et intérêt l'histoire d'un homme, qui finira par raconter, la tête froide, sans voyeurisme et sans dénonciation, l'histoire d'une multitude de personnes jamais entendues. Si cela peut faire se forger un avis aux spectateurs qui n'avaient pas encore eu l'occasion de réfléchir au problème, ce sera un plus loin d'être négligeable.


jeudi 14 mars 2013

"Blancanieves", Pablo Berger

Ben écoute, c'est très simple : c'est un drame muet en noir et blanc, qui réinterprète le conte de Blanche-Neige dans le monde des toreros en Espagne du Sud dans les années 20. Je ne vois pas où est le problème.


Tout d'abord, ce noir et blanc est magnifique, il s'accompagne de la photographie parfaite pour donner une image à la fois surannée et vive, floue et limpide. Le muet s'installe sans le moindre temps mort, on s'amusera de quelques panneaux superflus et aussi de cet étrange besoin d'accompagner ce format de quelques procédés de mise en scène particulièrement kitsch, "comme à l'époque", qui fonctionnent rarement. Mais ils sont occultés par des idées autrement plus efficaces, bien pensées et intéressantes, comme lors de cette entêtante séquence de fin. Et le tout est porté par un casting énergique, Macarena García et Maribel Verdú en tête. Quoi qu'il en soit, la comparaison n'est même pas légitime, mais qu'on se le tienne pour dit : d'un point de vue formel (et au niveau du fond aussi et d'autant plus, bien entendu), "Blancanieves" démonte "The Artist".



En ce qui concerne la réinterprétation mythique, il est délicieux de retrouver les éléments du célèbre conte réutilisés à d'autres endroits, dans d'autres buts. Le scénario allie ainsi à cette irrévérence narrative pleine de clins d’œil, une réelle intelligence dans le récit, avec notamment la préoccupation constante d'une clarté impeccable. Le réalisme et le plaisir rendent l'histoire plus forte, et on se retrouve à tenir pour les gentils autant qu'un enfant, mais pour des raisons d'adulte, et à soutenir la superbe romance qui se dessine subtilement. On regrettera parfois un certain manichéisme, mais cela sera rattrapé par une fin audacieuse. C'est d'ailleurs ce qui fera de ce film, loin de la répétition ou de la décontextualisation simples, une œuvre à part entière, pleine de malice, de cruauté, de vivacité et de beauté.



mercredi 13 mars 2013

"A la Merveille" ("To The Wonder"), Terrence Malick

Comment fait-on pour continuer après un chef-d’œuvre comme "The Tree Of Life", palme d'Or au Festival de Cannes 2011 ? Ben, je sais pas, mais pas comme ça, en tout cas.


Mais avant toute chose, rendons à César ce qui est à César : Terrence Malick est un réalisateur de génie. Chacun de ses plans est d'une beauté singulière, chaque prise de vue est colossale, intrigante et captivante. Malick est un virtuose de la forme. Que ce soit dans ces monologues qui flottent en équilibre sur les images, dans cette photographie toujours incroyablement nette et pure, pleine de couleurs chatoyantes sans être piquantes et de formes claires et droites, ou dans cette incroyable puissance de symbolisme. Malick est un artiste, en cela que son œuvre s'articule avec une intelligence suprême. On se sent tour à tour oppressé, enveloppé et porté par ses images. Malick est un esthète, et son film, comme le précédent, est un bijou visuel, de ces films qui font détester quatre-vingt-dix pour-cents des autres films à l'affiche tant ils n'ont, en comparaison, de toute évidence rien compris à l'image.


Là où "The Tree Of Life" s'attachait avec passion et complétude à la vie, "A la Merveille" se présente comme son jumeau consacré à l'amour. Ainsi découvre-t-on deux personnages, joués par Ben Affleck et Olga Kurylenko, tous deux excellents. Ils s'aiment et décident de partir vivre ensemble aux États-Unis (merveilleusement filmés, donc). Mais très vite le bât blesse. Si le procédé de la voix-off éthérée permet d'accéder aux doutes des personnages, on n'a pas le temps de s'attacher à ces personnages, toujours trop lointains, trop immatériels, ni à leur relation, que son mauvais traitement rend banale. Malick semble passer à côté de quelque chose, en ce qui concerne l'amour : la beauté des scènes ne fait pas exister la relation, il manque le sentiment, il manque les viscères.


On pourrait s'accorder alors à retrouver là une volonté d'universalité : offrir un couple peu dessiné pour permettre de parler au nom de toutes les relations. Mais il n'en est rien, quand les phrases sans cesse déblatérées en voix-off sombrent la plupart du temps (à l'exception de quelques citations profondes mais peu explorées), dans la mièvrerie la plus décevante. Ainsi l'amour déchiré de Neil et Marina n'émeut pas, n'inquiète pas, ne touche pas. Leur histoire devient ordinaire, et la tragédie de l'incompatibilité amoureuse a déjà été dépeinte des milliers de fois, parfois avec une urgence et une justesse qui font cruellement défaut ici. Par ailleurs, les personnages de Javier Bardem et de Rachel McAdams, aux rôles en fait minimes, manquent encore plus de direction que le couple-titre. Alors, quand on ne peut plus se raccrocher à la forme à cause de l'absence de fond, ne reste que l'ennui, d'autant plus âpre que l'on sait Mallick capable de mieux. Il n'aura ici qu'appliqué en vitesse la recette de "The Tree of Life", mais ces moyens ne sont pas adaptés à "To The Wonder", et cette incongruence rend l'ensemble pataud. En espérant que la prochaine fois, le thème sera traité avec la minutie qu'on lui connaît, et non pas en rapidité, sans trouver l'adéquation entre la forme et le fond, il faudra attendre le long-métrage suivant, alors, sans faute.


mercredi 6 mars 2013

"Happiness Therapy" ("The Silver Linings Playbook"), David O. Russell

Alors, oui. Je suis allé voir un film type comédie romantique américaine. Je ne sais pas très bien pourquoi, alors même que j'avais prévu de l'éviter, sentant revenir l'éternel schéma hyper précis et sclérosant du genre, réactualisé à la sauce psychiatrique à laquelle je serais forcément trop sensible (en raison de mon orientation professionnelle, hein, pas en raison de potentielles anciennes hospitalisations, non mais je préfère préciser, c'est comme ça que les rumeurs débutent, et tout, bon, on se comprend, voilà.) et qui risquait donc de moyennement m'amuser. Et puis les mecs, clairement, c'est un BLOCKBUSTER, là. Si, si. Attendez, il a même un titre VO en anglais traduit par un titre VF différent mais en anglais aussi ! Je le range dans la catégorie des blockbusters, et je fais bien, et je ne vais normalement voir qu'un blockbuster par an, tellement je suis snob, tout ça. Bon.



En fait, pour un blockbuster (car c'en est un, j'y tiens), il est relativement peu blockbusterisant, il a même un aspect "indé" assez développé (oui j'oppose de façon schématique indé et blockbuster, c'est complètement réducteur, on est d'accord, mais je fais ce que je veux, on est d'accord). Je pense que c'est ce qui explique son succès, d'ailleurs : le public habitué aux blockbusters a dû être agréablement surpris par l'originalité relative dont celui-ci fait preuve. En ce qui me concerne, ça reste quand même un blockbuster, avec pas mal des défauts qui vont avec, et surtout la prévisibilité complètement aberrante de certains retournements de situation que l'on était, apparemment, pas censé deviner. Merci de nous prendre pour des cons.


Au-delà de ça, c'est effectivement un bon film dans son genre (voilà, je l'ai mis en gras, n'allez pas me faire dire ce que je n'ai pas dit). Reprenons : d'un côté, Pat, diagnostiqué bipolaire après un incident qui lui aura valu la perte de son épouse et de sa maison, ainsi qu'une hospitalisation forcée en psychiatrie ; de l'autre côté, Tiffany, au trouble psychiatrique peu défini par le film, admettons qu'elle est borderline et qu'elle fait un deuil pathologique après la mort prématurée de son mari. Pat n'a qu'un objectif : reconquérir sa femme, et Tiffany a besoin d'un partenaire de danse pour un concours régional. Ensemble, ils passeront un marché assurant leurs intérêts. Si le film pouvait aisément s'alléger d'une bonne demi-heure, il faut reconnaître que le scénario se tient à peu près, même si beaucoup de moments manquent cruellement de l'enjeu nécessaire, donnant lieu à beaucoup de situations en demi-teinte.


La représentation de la "folie" est effectivement réductrice : si certains aspects sont réalistes, notamment la difficile observance, la bipolarité est dépeinte de façon assez peu authentique. En réalité, le film tombe souvent dans le piège de simplifier la folie et de la rendre soit comique, soit inquiétante, là où elle n'est souvent ni l'un, ni l'autre. Cependant, les deux acteurs principaux se débrouillent très bien : Bradley Cooper semble investi dans un rôle difficile, et donc mal dirigé, et Jennifer Lawrence surprend par la diversité de son jeu (à l'extrême opposé de sa performance dans "Hunger Games" (ah oui voilà, c'était celui-là, mon blockbuster de l'an dernier, je me souvenais plus, je me demande depuis le début de l'article)). Que les choses soient claires, sa victoire aux Oscars reste une honte totale et absolue, surtout face à Emmanuelle Riva (infiniment plus convaincante) et Quvenzhané Wallis (désarmante de naturel), mais il est vrai que l'actrice a fait du chemin.


Comme de bien entendu, la réalisation est brouillonne, peu réfléchie et souvent vomitive : arrêtons notamment de faire joujou avec le zoom, cher David, cela porte peu souvent ses fruits. Le montage est lui-même erratique, et, de façon assez impardonnable, le réalisateur peine à mettre en évidence ce sur quoi il semble vouloir se focaliser. C'est probablement la raison principale pour laquelle, comme évoqué plus haut, beaucoup de moments n'atteignent pas l'intensité voulue, les scènes de danse en tête. Allez, arrêtons de tourner autour du pot : c'est très mal filmé. Cependant, quelques scènes se couronnent d'une réussite inattendue, certains moments parviennent à être amusants, d'autres quasiment touchants (on citera  pour cela l'excellente Jacki Weaver, même si la pauvre s'est vue demander trop de fois d'abuser de ses grands yeux mouillés). Pour tout vous dire, je me suis même retrouvé à attendre le bisou final (qui était mal filmé, cela va sans dire), c'est pas rien. Aussi, finalement, disons que pour un mauvais film, ce n'est pas trop mal.

mardi 5 mars 2013

"Gimme The Loot", Adam Leon

Encore en mode très en retard, encore une critique rapide. Je pense que même mon accompagnatrice/traîneuse (oui j'avais pas trop, trop prévu d'y aller, mais globalement, après, j'étais content qu'elle m'y ait contraint par la force) ne l'attendait plus. (Vous aurez par ailleurs remarqué que je n'ai pas parlé des Oscars, ça viendra sûrement en passant avec la critique de demain, mais, globalement, retenez que C'EST DE LA MERDE. Merci, bisous.)


Sofia et Malcolm sont deux graffeurs à New York City, qui se mettent en tête, pour se constituer une superbe dans la compétition, de taguer la pomme géante du Shea Stadium. Pour cela, ils ont une journée pour se constituer un pactole suffisamment conséquent pour soudoyer le gardien et accomplir leur coup d'éclat. S'en suit donc un film au rythme effréné, suivant les tribulations incessantes des deux amis dans leur quête ardue. Les dialogues salés et les péripéties rapides empêchent tout ennui, dans un film à la fois très indé par son sujet et son traitement, mais virtuose dans la réalisation, s'équipant d'images baignées du soleil new-yorkais harassant et de plans sur la ville à se damner.


Se révèle alors devant nos (mes) yeux de bobo ébahi tout un monde de la rue, invisible et angoissant, où rien n'est jamais sûr, mais dont les acteurs ne se soucient pas, acceptant les terribles règles du jeu. Ainsi si cet univers est représenté comme globalement bénin pour les personnages, la violence morale dont il fait constamment preuve est assez anxiogène pour le spectateur européen-de-la-classe-moyenne, d'autant plus que le tout est porté par des acteurs très bien castés. Si le film se perd parfois un peu, cela ne l'empêche pas de se classer aisément dans la catégorie des feel-good movies, enchaînant des séquences enthousiasmantes et prenantes. Il saura cependant s'armer d'une fin parfaitement adéquate qui en constitue le message réaliste, inattendu et authentique.


samedi 2 mars 2013

"Touristes !" ("Sightseers"), Ben Wheatley

En mode très en retard, une critique rapide.


Autant le dire tout de suite : "Touristes !" était chouette mais ne m'aura laissé le souvenir que d'un sous-"God Bless America" à la sauce britannique. Ici aussi, il s'agit d'un duo qui se met à tuer les gens qui les embêtent pour des raisons souvent futiles et quotidiennes, sans remords et sans questionnement. Chris emmène son amoureuse Tina dans un vaste tour britannique des musées et des monuments insolites, en camping-car. Le couple bénéficie immédiatement d'un grand capital sympathie, par leur relation touchante, leur enthousiasme mignon pour le kitsch et leur physique loin des canons hollywoodiens, auxquels les productions anglaises parviennent encore et toujours à échapper. En cela, le jeu ambivalent de Steve Oram et la lente bascule hystérique d'Alice Lowe accompliront l'exploit de rendre les personnages de plus en plus inquiétants mais toujours attachants.



Très rapidement, les vacances dévient vers une tuerie absurde et étrangement assumée, dans un humour britannique le plus total et le plus délicieux. Mais les règles qu'ils tentent de s'imposer dans leur épopée gore seront de plus en plus difficiles à tenir, et ils sombreront dans une spirale de meurtres dans un second degré délectable, jusqu'à un final toujours plus cruel. Le scénario, s'il souffre de la comparaison immédiate avec "God Bless America" que je venais de voir, est donc appréciable, bien qu'il s'apparente rapidement à un n'importe-quoi pas forcément contrôlable. Il s'accompagne d'une réalisation sensible et charmante, avec une image qui retranscrit à merveille la campagne britannique. L'ensemble constitue donc une comédie noire agréable, qui aurait pu s'investir d'une tournure plus ample, mais qui se contente, comme ses personnages, de peu.