dimanche 30 décembre 2012

Classement tant attendu des films vus en 2012!

Je pense que nous sommes d'accord : vous l'attendiez tous fébrilement. Je comprends. Mais l'attente est terminée, mes très chers amis. Voilà le classement Assurément des films vus en 2012...

Oui, bon, alors.

J'ai fait totalement comme j'ai eu envie de faire niveau inclusion des films. Certains sont sortis en cette toute fin d'année, d'autres sont sortis fin 2011 mais ont été vus cette année, d'autres ont été exclus alors qu'ils dataient de fin 2011... Mais rappelons-nous tous d'une chose : je fais ce que je veux, je suis chez moi. Non mais.

Le classement me surprend moi-même mais c'est parce que, contrairement à la majorité des critiques que je poste, il prend en compte un facteur fondamental dans le cinéma : l'impression que le film laisse. Un très beau film peut laisser un souvenir morne, tout comme un film plein de jolis défauts laisse parfois un souvenir assez impérissable. C'est surtout sur ce critère que le classement est fondé : la trace.

Mais jugez plutôt.


Catégorie tout en bas (mais tout en haut pour le suspens) : "Comment te dire."

Pauvre Juliette.

Oui, alors, non. J'ai fait tout ce que j'ai pu, j'y ai mis toute la bonne volonté du monde, mais j'ai été tellement déçu par cet amas de clichés et de blagues pas drôles, dans un film mal joué et aussi peu réalisé qu'un téléfilm, que je l'ai inclus exprès dans mon top 2011 pour bien lui faire la misère. Voilà, voilà.

63. "Elles", Malgorzata Szumowska
Sujet pseudo-iconoclaste et toutes les erreurs et les clichés qui vont avec. L'ensemble devient aussi vaniteux que bête. Pauvre Juliette.

Oui bon alors ça c'est nul, voilà. Mal joué, mal filmé, des dialogues pourris, et jamais on ne saura quoi faire de l'assez bonne idée d'origine.

Intérêt du sujet ? Non mais, vraiment. Intérêt du sujet ?

On a compris que tu avais peur de te faire enculer, mais très clairement, c'est ton problème. Alors oui c'est parfois joli, mais c'est surtout extrêmement irritant.

C'était joli, disons. Par moments ; l'environnement futuriste, surtout. Sinon, c'était attendu, cliché, unidimensionnel et donc inintéressant.



Catégorie des underdogs : "Bien essayé…"
Pauvre Meryl.
 
58. "Sur la Route", Walter Salles
Ou comment faire d'une œuvre culte de la littérature, un film potache, un peu vulgaire et provoc, et complètement à côté de la plaque.
Un biopic qui passe plus de temps à montrer la démence vasculaire de son héroïne plutôt que sa vie hors-du-commun ? Non merci. Pauvre Meryl.

Bâillement saphique. Le film lui-même ne sait pas de quoi il parle; il se contente de se regarder.

Adapter un livre compliqué, c'est bien. Le rendre clair à l'écran, c'est mieux. De très beaux moments de cinéma mais l'ensemble reste bien trop confus.



54. "Robot & Frank", Jake Schreier
Tellement de potentiel, gâché par une histoire moyenne qui met l'accent sur les mauvais aspects. On retiendra cependant une fin très touchante.

53. "Take Shelter", Jeff Nichols
Oui/non/oui/non/oui/non... Certaines scènes étaient prenantes bien sûr, et puis, Jessica Chastain. Mais on nous l'a déjà trop fait, le coup de la réalité qui est peut-être un rêve schizophrène mais quand même peut-être vrai.

52. "A Dangerous Method", David Cronenberg
Ok, et sinon, on pouvait aussi s'attarder sur les théories passionnantes des protagonistes plutôt que sur leurs histoires de cul. Et éviter de caster Keira, par pitié.

51. "Rengaine", Rachid Djaïdani
Caméra mal de mer pour sujet intéressant mais au message assimilé en dix minutes...


50. "2 Days in New York", Julie Delpy
La redite inutile et ratée... ce qui avait fonctionné dans son prédécesseur fonctionne encore un tout petit peu maintenant, ce qui sauve l'ensemble du désastre, mais pas du superflu.

49. "Faust", Alexandr Sokurov
Ohlalala que je suis compliqué, complexe, gigantesque... Je vais faire un film bien opaque et élitiste pour avoir l'air intelligent. Parfois la force symbolique écrasera effectivement, le reste du temps, qu'est-ce qu'on se fera chier.
 
Catégorie passable : "Oui bon voilà c’est mignon."




48. "Cherchez Hortense", Pascal Bonitzer
Sympa, mais je l'avais oublié... ce qui n'est pas trop bon signe.

Le "Oui bon voilà c'est mignon" incarné. Un peu plus de sombre, la prochaine fois... Mais très jolie musique par Emilie Simon.

Assez chouette et bien pensé. Souffre probablement de son rang de presque-blockbuster dans un classement de bobo.

Il y a du mieux, des vrais moments de poésie et quelques très bonnes idées, mais répétons-le : dialogues, jeu de Donzelli, exhibitionnisme.

44. "Let My People Go !", Mikael Buch
C'était plutôt rigolo et mignon, après c'était aussi un petit peu naze.

Joli, agréable, bien filmé, prometteur, mais tombe dans le piège de l'adaptation du fait divers : bien, bien trop léger.

42. "Parlez-moi de vous", Pierre Pinaud
Pas trop mal. Un film humble, sans trop de genre, qui se contente d'exister. Youpi Karin.

41. "Starbucks", Ken Scott
Assez drôle et bien pensée, cette comédie indé multipliera les moments agréables, mais pour finir se fera trop peu ambitieuse (et en VF!).

40. "En Secret", Maryam Keshavarz
Parce qu'il peine à cerner son sujet, ce film prometteur ne saisira pas tout son potentiel et ne laissera pas un souvenir impérissable.



39. "De Rouille et d'Os", Jacques Audiard
Niveau traitement du handicap moteur, c'est déjà largement mieux que "Intouchables". Pour le reste, la dualité entre les deux personnages fonctionne étonnamment bien, l'interprétation est au rendez-vous et quelque chose d'éminemment matériel émane du film.

38. "La Terre Outragée", Michale Boganim
Souvent poétique, ce film-souvenir sera sans doute, en fin de compte, et comme souvent quand on évoque ce sujet, trop fataliste, un brin trop larmoyant.

Plutôt joli, un peu simple, mais plutôt joli, pour un portrait de deux jeunes hommes qui se demandent s'ils doivent vraiment grandir.

36. "Barbara", Christian Petzold
Intéressant, parfois très beau dans la forme, mais souvent trop cliché dans le fond...



35. "Hors Les Murs", David Lambert
Cliché inexplicablement séduisant.

34. "Bye Bye Blondie", Virginie Despentes
Plein de bonnes idées, une réalisation dynamique et sans concession, mais pourquoi réunir les deux bouches les plus effrayantes du cinéma français avec les monstrueuses Dalle et Béart ?

33. "The We And The I", Michel Gondry
Une mignonne parenthèse dans l’œuvre du cinéaste.

Trop produit, un peu décevant pour un Daldry, mais d'une complexité claire, et très émouvant.

"Ah oui tiens."


Ce réquisitoire quant au système éducatif américain est méritoire et joliment sombre, mais sans doute un peu trop défaitiste pour faire passer pleinement son message.

Bonnes idées, Ozon parvient même à rendre Luchini peu insupportable. La limite entre la réalité et la fiction fond délicieusement, mais tout est gâché par une piètre fin.

Une comédie d'une incroyable légèreté, une sorte de bouffée de couleur sans prétention et très efficace.

Intéressant. Soko convainc une fois de plus, et si les partis pris sont parfois douteux, ce premier film laisse sa trace.

Une adaptation assez bonne, intelligente, haletante qui réalise un bon thriller.


26. "Wuthering Heights", Andrea Arnold
Passionné, rageur et enivrant ; une ambiance parfaitement retranscrite, Scodelario toujours aussi belle.

L'éternel charme sud-américain s'allie à une poésie presque pas glauque... L'humour noir a beau ne pas être loin, on est surtout touché.

24. "Moonrise Kingdom", Wes Anderson
Coloré et imaginatif, ce film souffre d'un peu de populisme et quitte trop vite ce qui le rendait vraiment passionnant, mais marque par une mise en scène d'un rare esthétisme.

Quel talent sur la forme, quelle horreur sur le fond : on se réjouit d'une réalisation incroyable avec une abondance de plans-séquences parfaits, on s'offusque d'une histoire aussi sombre et dénuée d'espoir sans raison.
Si l'interprétation par Corinne Masiero, très justement révélée par ce film, est incroyable, le scénario est finalement trop simple.

21. "Télé gaucho", Michel Leclerc
Engagé, le successeur de l'excellent "Nom des Gens" pêche dans la comédie mais touche sans que l'on ne s'y attende.

20. "Wrong", Quentin Dupieux
Un absurde délicieux sur le fond se lie à une forme irréprochable, pour un moment de cinéma inédit, amusant et poétique.

19. "Elena", Andrey Zviaguintsev
D'une froideur immaculée, ce film plonge dans l'effroi d'une lutte des classes au sein du couple. Un message fort sur l'origine.
Très touchant, ce film impressionne par le grain de son image et sa fabuleuse économie des mots.

Un portrait de la violence dans l'art, ça ne se refuse pas... Surtout quand c'est filmé à juste hauteur et servi par une musique aussi entêtante.

Sale juste ce qu'il faut... Ce film qui a fait beaucoup parler de lui jouit de son caractère éminemment malsain et obscur.

Pour son dernier film, Miller nous offre une œuvre étonnamment captivante dans la beauté simple de sa mise en scène.

L'image sublime d'un bleu profond qui colore tout le film.

Tellement chouette ! Enthousiasmant, ce petit film indé revient de loin et reste longtemps.

Catégorie tout en haut (mais tout en bas pour le suspense) : "Complètement."



C'est en quelque sorte une épopée amoureuse, le récit d'un long accident. En fait, une autopsie ; autant pleine de chagrin que d'espoir.

Mastodonte audiovisuel, ce film conceptuel marque par la puissance de son propos, de ses images et de son phrasé inédit.

10. "Vous n'avez encore rien vu", Alain Resnais
Effectivement.

9. "In Another Country", Hong Sang-Soo
Oh la poésie...
Et Isabelle Huppert, évidemment.

8. "Martha Marcy May Marlene", Sean Durkin
Une histoire étrangement prenante, glauque et angoissante, portée par une somptueuse photographie brune.

7. "Week-End", AndrewHaigh
Alternativement doux et cruel, ce film se distingue par un réalisme appuyé qui aide à rendre ce couple éphémère plus beau, plus vivant.

6. "Amour", Michael Hanneke

Déchirant, évident. A l'intérieur d'un huis-clos étouffant, les scènes gagnent en force alors que la décrépitude atteint de plus en plus les protagonistes.

La brillante autodestruction intimiste. Les couleurs, l'hommage à une ville, la déchéance d'un homme. Une œuvre très, très jolie.

L'art est là : une oeuvre entièrement transpercée par son sujet. La virilité est abordée sous chaque angle, dans chaque plan, à chaque seconde.

Enthousiasmant, jouissif. Une comédie iconoclaste qui prône un délicieux jenfoutisme assumé et dynamique et qui parvient à mettre en scène les fantasmes de meurtre avec humour noir et intelligence.

Fort, très fort. Un film aussi intime que spectaculaire, aussi inattendu que bouleversant. Once there was a Hushpuppy, and she lived with her daddy in the Bathtub.


Comment a-t-elle fait pour rendre une histoire somme toute banale aussi incroyablement poétique, douce, touchante, belle ? Sûrement en comprenant que ce n'est pas le récit le plus important, mais ce qu'il enclenche chez son auteur, ses personnages et ses spectateurs. Une leçon.


vendredi 28 décembre 2012

"Les Bêtes Du Sud Sauvage" ("Beasts Of The Southern Wild"), Benh Zeitlin

La voilà donc, la bonne surprise de cette fin d'année. Si vous allez au cinéma, allez donc jeter un œil sur ce film, spectaculaire à sa manière, inédit, inénarrable.


"Once, there was a Hushpuppy, and she lived with her daddy in the Bathtub." Il est difficile de résumer l'histoire de "Beasts of the Southern Wild". La première chose que l'on pourrait dire, c'est que c'est celle de Hushpuppy, avant toute chose : une petite de six ans, incarnée par l'incroyablement intense Quvenzhané Wallis, alors qu'elle est mise, pour le dire grossièrement, face à son destin. On suit ses doutes, ses choix, ses craintes et ses croyances sans que jamais ce ne soit niais, simpliste ou solennel. Au contraire, c'est tout le film qui s'adapte à ce point de vue : filmé à juste hauteur, il aide à entrer dans l'esprit de la protagoniste avec une aisance inouïe. La petite fille vit dans "the Bathtub", un bassin où une communauté a toujours vécu et a construit ses maisons et sa vie de bric et de broc, mais aujourd'hui condamné par les autorités à être évacué pour causes sanitaires. Au-delà de la résonance politique, l'enjeu est avant tout frappant par le point de vue de Hushpuppy, partagée entre la peur, l'incompréhension, l'envie de bien faire et la simplicité. La réalisation aussi humble que magnifique sublime une œuvre désarmante de puissance et de sincérité.


Ainsi le premier long-métrage de Zeitlin réussit, avec un petit budget qui le confine à des trucages aussi précaires que génialement réussis, à être spectaculaire. Aussi spectaculaire qu'un blockbuster. Plus spectaculaire, même. En fait, le film est produit avec la grâce et la classe des plus grands, mais conserve un regard intimement indépendant sur son thème. Il parvient à allier des moments d'une ampleur dramatique considérable, à des instants d'une poésie inédite, parfois aux mêmes moments, avec bien sûr cette inclusion des aurochs, animaux imaginés par Hushpuppy et symboles de tout ce qui est mauvais dans la vie : de la tempête à la maladie de son père, en passant par les doutes sur la longévité du bassin. Il y a là tout un hommage à une communauté dont d'autres décident de la vie sans en demander l'avis, il y a là la puissance effrayante de l'imagination infantile et la belle tristesse des chagrins d'adulte. Il y a là l'enfance, la maturation et pourtant l'enfance encore. Il y a là l'amour, la beauté, l'absence, le bonheur.


Il est en fait difficile de parler des "Bêtes du Sud Sauvage", parce que c'est un film qui surprend. Avant de la voir, difficile de savoir s'il sera très produit ou très indé, s'il parlera de son sujet avec pathos ou méticulosité, s'il saura trouver sa voie. En réalité, il évite toutes les erreurs et remporte tout. Il cloue au fauteuil comme peu de films parviennent encore à le faire, il réquisitionne toute l'attention, ne laissant que l'unique pensée qu'on est en train d'être témoin de quelque chose de très, très beau. On est devant un chef-d’œuvre et on ne saura pas expliquer pourquoi.

mardi 25 décembre 2012

"Vous n'avez encore rien vu", Alain Resnais


Le titre semble presque insolent. Après presque une vingtaine de longs-métrages mondialement reconnus, Alain Resnais, un des réalisateurs français les plus célèbres, semblait vouloir nous dire que tout ça, c'était du flan, et que ça commençait réellement maintenant. Et pour ce faire, il s'offrait un casting de luxe : Mathieu Amalric, Pierre Arditi, Sabine Azéma, Michel Piccoli, Lambert Wilson et la liste continue... Cette distribution sera énumérée avec une certaine vanité dans la scène d'ouverture où chacun de ces acteurs renommés sera appelé au téléphone. Ils joueront ici leur propre rôle, quand Antoine d'Anthac, metteur en scène fictif qui les aurait tous fait jouer dans "Eurydice" d'Anouilh, décède et les convoque chez lui pour qu'ils regardent ensemble les répétitions d'une troupe montant cette même pièce.


A ce stade, l'histoire se fait donc mystérieuse et pourtant s'arrête là. En fait, pendant tout le film, les acteurs, soudain re-possédés lors du visionnage par leurs personnages d'antan, rejoueront, peut-être dans leur esprit, peut-être en chœur, cette pièce pendant tout le film. La mise en abyme est aussi multidimensionnelle que risquée : Alain Resnais s'en contente, et s'en sort avec brio. Il se paie même le luxe ironique de décors kitsch et de mauvais effets spéciaux, comme pour souligner un peu plus ce qui importe réellement : le texte d'Anouilh est absolument magnifique, et c'est en fait sur lui, et sur le théâtre en tant qu'art en général, que se resserrera le film. C'est ce qui dépassera la mise en scène volontairement maniérée, la simplicité du récit, le caractère vieille-école de l'interprétation et l'effronterie du réalisateur, qui seulement parfois grèveront l'effet. C'est ce qui nous fera avouer, impuissants et à genoux devant un film irrémédiablement grand et unique, oui, nous n'avions encore rien vu.


lundi 24 décembre 2012

"Violeta Se Fue A Los Cielos" ("Violeta"), Andrés Wood

On en a peu entendu parler. Du film, d'abord : sans les conseils avisés de ma chère amie chilienne, je n'aurais sans doute même pas relevé cette affiche grisâtre, ce titre pudique, cette œuvre discrète. Et de l'artiste dont ce biopic dresse le portrait : icône de la musique au Chili, Violeta Parra, dans les années 50-60, a fait tourner ses chansons folk à travers le monde. 



Il y a eu Sylvia Plath, Virginia Woolf, Sarah Kane. Et puis Violeta Parra. C'est de la souffrance que jaillissent l'art le plus pur et la beauté la plus violente : c'est la mélancolique vérité à laquelle le film s'attache, en expliquant les compositions de l'artiste par les événements de sa vie. Violeta y apparaît comme une femme singulière, forte, irrévérencieuse, résolue, profondément peinée et tout aussi talentueuse. La simplicité de sa vie et la multiplicité de ses actions artistiques tranchent avec le succès planétaire dont elle jouit, et qui ne sera jamais l'axe principal du film. On lui préfère le portrait d'une femme, d'un être humain qui, malgré ses aventures, ses réussites et ses frasques, ne sera que ça, jusqu'au bout, jusqu'à la fin inévitable qui se prolongera en un dernier plan d'une longueur qui prend la forme d'une torture. Au terme du film, grâce à une très bonne interprétation de la part de Francisca Gavilán, l'identification est parfaite, l'adéquation est impeccable : on ressent soi-même ce malheur oppressant dont Violeta Parra a tiré son art mais dont elle n'a jamais réussi à s'extirper.



Pourtant, la trame narrative du film est loin d'être évidente : des extraits d'interview parsèment une biographie qui met un point d'honneur à ne pas vraiment respecter la chronologie, si ce n'est pour quelques événements clé. S'en suivent souvent une confusion, parfois des longueurs, mais Wood préfère, là encore, suivre la trace de l'humain derrière la légende. A cette fin, il choisit une mise en scène à la fois sobre et bigarrée, un grain poussiéreux, des couleurs légèrement ternies. Et bien sûr, la musique. Les chansons douces et prenantes de Violeta Parra habitent le film, soulignent son propos, reprennent vie et séduisent par la clarté et la violence de leur poésie. "Violeta Se Fue A Los Cielos" est leur écrin, il les soutient, les justifie et les brandit, et c'est là, sobre, calme et à juste hauteur, qu'il semble tirer là le plus bel hommage à Violeta Parra.



dimanche 23 décembre 2012

"Thérèse Desqueyroux", Claude Miller

C'est le dernier film de Claude Miller, décédé après le montage. C'est une adaptation d'un roman de François Mauriac, qui avait déjà donné lieu à un film en 1962, par Georges Franju. C'était Emmanuelle Riva qui jouait Thérèse. Aujourd'hui, c'est Audrey Tautou, un choix inquiétant car les performances de l'actrice ont parfois manqué de convaincre après "Amélie Poulain", mais qui est en fait salvateur.



Miller dresse ici, avant tout, un portrait avec une intensité et une rage rares. Le portrait d'une femme dont la malédiction est de ne pas être à sa place là où elle se trouve. D'être condamnée à vivre sa vie avec des gens qui toujours auront moins de vision, moins d'ambition, moins de hargne qu'elle. Thérèse Desqueyroux est avant tout une femme enfermée et emprisonnée, et cette situation intenable, parfaitement retranscrite au spectateur, justifiera son acte de rébellion libératrice, là où il paraîtra complètement opaque aux yeux de sa famille. L'interprétation d'Audrey Tautou se fait sombre, déterminée, franche et affranchie : l'actrice trouve ici un rôle qu'elle parvient à maîtriser tout en le laissant l'habiter. Ainsi cette femme hors du commun qu'on lui impose touchera sensiblement. 



Cette vie qu'elle n'a pas choisie, c'est celle de la bourgeoisie des Landes. Miller pose sur ses décors un œil aussi calculé que résolu, et offre des plans d'une beauté claire et évidente, que ce soit dans le huis-clos calfeutré de la maison familiale ou la prison de pins. Pour son dernier film, il offre encore une façon de faire du cinéma de manière directe, d'une façon qui paraît aussi simple que novatrice. La beauté des images s'allie à merveille avec la dureté du fond, l'histoire est suivie avec curiosité. Il y a dans cette œuvre une façon de narrer le récit qui attache, que ce soit à travers les cruelles rêveries de Thérèse, les intrigues secondaires (notamment portées par la douce Anaïs Demoustier), ou les affreuses répercussions du crime de la protagoniste. Par cette histoire simple, cette ambiance particulière qui sent le pin brûlé, cette mise en scène nette, on se retrouve, à la fin, emporté bien plus loin que ce qu'on aurait cru.



samedi 22 décembre 2012

"Main Dans La Main", Valérie Donzelli

Bon, alors, c'était pas gagné. On se souvient tous de La Bien-nommée Grande Guerre Malheureusement Déclarée à propos du film du presque même nom, "La guerre est déclarée", précédent film de Donzelli, adulé par les masses, haï par ma personne. Pour cette opinion je fus bafoué, torturé, taxé des pires insultes, on nia ma possibilité d'aimer, ma capacité d'empathie, on me reprocha d'être un vendu, d'avoir laissé ma malencontreuse profession déteindre sur mes émotions. Autant dire qu'au moment d'aller voir le nouveau film de Valérie Donzelli, je faisais moyen le fier. Pour ceux qui voulaient me manger tout cru : J'AI ADORE, C’ÉTAIT PARFAIT.



Pour les autres, la vérité est - étonnamment - plus nuancée. Dans "Main Dans La Main", tout part d'une jolie idée. Hélène Marchal, professeur de danse classique au Palais Garnier, croise un jour Joachim Fox, employé d'une miroiterie de province. Immédiatement, ils sont inséparables, au sens premier du terme : ils font les mêmes gestes et sont incapables d'être distants de plus de quelques mètres l'un de l'autre. Malgré leurs profils différents, ils vont dès lors devoir coexister de très, très près.



La première idée qui vient à l'esprit face au synopsis, c'est que le potentiel de jeu est gigantesque. Valérie Lemercier, seule vraie très bonne actrice du film, en était capable. C'est donc sans doute Jérémie Elkaïm qui bloque, bien que son interprétation soit convenable (et mille fois meilleure que dans "La guerre est déclarée"). Cette absence d'exploration de la synchronisation totale est impardonnable, tant elle aurait pu, elle aurait dû donner lieu à un joyau d'interprétation. C'était une occasion en or, et à la place, et alors même que tout se passe dans l'univers de la danse, elle ne sera jamais vraiment exploitée : les mouvements de Lemercier et Elkaïm ne seront jamais parfaitement synchrones, toujours un peu trop brouillon.



Dans le genre brouillon, on va bien sûr aussi parler des dialogues. Toujours affublés du maniérisme imprononçable que Donzelli semble vouloir, pour une raison obscure, imposer comme son style, ils sont fort souvent superflus et mettent les comédiens dans une mouise inextirpable. Pire, ils grèvent l'histoire qui est pourtant assez touchante et qui fait le charme du film. On regrettera également toujours cet exhibitionnisme de Donzelli, qui se caste dans le rôle cette fois de la sœur du personnage d'Elkaïm (son ex-compagnon), mais son besoin de traiter ses névroses par le cinéma rendra cette relation incestueuse et un peu dégueulasse. Qui plus est, il faut se rendre à l'évidence, Donzelli est très mauvaise actrice.



Ceci dit, l'amélioration est indéniable. La réalisation se fait plus aboutie, plus axée. On est loin de l'expérimentation tout feu tout flamme de "La guerre est déclarée", qui rappelait le premier montage vidéo d'un amateur découvrant Windows Movie Maker et testant tous les effets. Dans "Main dans la main", hormis quelques erreurs (par exemple, le très mauvais filmage du magnifique opéra), Donzelli se recentre et use avec soin et goût de ses différents procédés, avec notamment une excellente utilisation de la musique. Elle va même jusqu'à offrir quelques séquences magnifiques, quelque peu touchées par la grâce, qui relèvent le film, et l'empêchent de se faire qualifier d'échec. De même, l'histoire, bien qu'assez attendue, est jolie, poétique, décalée, un peu mélancolique, elle est davantage construite, presque délicate.



Allez, il y a donc de l'espoir pour Valérie Donzelli. Il suffit que d'une, elle trouve un autre moyen que le cinéma pour régler ses soucis personnels, de deux, elle arrête de jouer dans ses films, de trois, elle cesse d'écrire ses dialogues. Faisable, non ? Voilà, Valoche, fais tout ça, regarde des films de Noémie Lvovsky, on se tient au courant, et dans deux-trois films, on sera peut-être copains.

vendredi 21 décembre 2012

"Wuthering Heights" ("Les Hauts de Hurlevent"), Andrea Arnold

Andrea Arnold se lance dans une adaptation outre-Manche du grand classique d'Emily Brontë... Oh, tant de pièges qui s'ouvrent sous ses pieds. Parviendra-t-elle à les éviter ? La suite sous la traditionnelle image de l'affiche qui cette fois nous donne à contempler la très, très belle Kaya Scodelario.


Oh qu'elle est belle avec ses yeux photoshopés

La première réussite du film, c'est son ambiance. Les décors, magnifiques et filmés de façon tantôt providentielle, tantôt hésitante, y sont certes pour beaucoup. Mais quelque chose d'indicible pénètre le film, dans sa mise en scène et sa réalisation, qui fait qu'on sent l'air froid s'insinuer autour des os, la pluie vengeresse s'abattre sur les dos courbés, le feu sécher les vêtements sales et humides. Le vent hurle, effectivement, et l'image est belle. Les espaces verts de la lande gigantesque se font huis-clos, et la douce relation que nouent les deux protagonistes apparaît d'autant plus intime. Arnold fait le choix de consacrer plus de la moitié du film à leur enfance, et dans cette atmosphère, c'est toute une ribambelle de souvenirs sucrés et amers, de chagrins et de joies d'enfants qui deviendront grands, qui se déploie.


Et elle cède tardivement la place aux personnages grandis. Les très convaincants Shannon Beer et Solomon Glave sont supplantés par James Howson, un peu trop lisse, et Kaya Scodelario, magnifique, magnétisante quand elle est habitée, décevante quand elle ne l'est pas. Leur passion s'exprime tour à tour avec une retenue brûlante et une passion revendiquée, leur amour motive et attache. Les contraintes qui s'abattent sur eux sont  vécues comme des aberrations, et la fin tragique est aussi inévitable que cruelle. Toute cette violence sentimentale transperce le film, qui s'acharne à blesser, à tuer à l'écran, et à entrechoquer ses séquences par un montage ingénieux et nerveux. Si Andrea Arnold décide de passer sous silence une grande partie de la fin du roman, c'est que ses "Hauts de Hurlevent" veulent se contenter de cette violence humaine, de cette passion imprenable, et c'est pourquoi son film, malgré ses longueurs et ses doutes, est une jolie réussite.