mercredi 31 octobre 2012

"God Bless America", Bob Goldthwait

L'histoire d'un homme humaniste, délaissé par ses proches, viré de son travail, diagnostiqué phase terminale, dans une Amérique qui le dégoûte, pleine de moquerie et de méchanceté acclamées, et qu'il n'arrive pas à raisonner, lui pauvre petit homme plein de bons principes, dans un océan de concitoyens hyper-consommateurs, impolis et mauvais. Alors, très justement, il décide de les tuer. Tous les perpétreurs de télé-réalité, d'anti-mariage gay, de bruit au cinéma. Et ce avec l'aide improbable d'une complice lycéenne, qui trouve ça définitivement trop cool.


Et ça l'est. Comment ne pas trouver jouissive cette irrévérencieuse réalisation de nos fantasmes les plus profonds, de notre fondamentale envie de tuer celui qui vit en désaccord avec ce que l'on considère juste ? C'est en fait un grand pied-de-nez à la sacrosainte liberté d'expression états-unienne : le film semble dire, ok, mais au bout d'un moment, il faut arrêter de déconner. Et trouver là l'occasion de déconner encore plus. Les tueries les plus drôles et les plus éclatantes s'enchaînent avec joie, dans un humour noir délectable parfois souligné d'un gore épicé. Le tout sous une réalisation délicieusement indie, qui offre une image à la fois vive, claire et un brin rétro. 


Mais à travers ce fun assumé, s'établit surtout toute une réflexion sur la société actuelle. Cette philosophie est certes un peu facile, et aussi souvent forcée en accentuant légèrement les travers des concitoyens de Frank (qui porte fort bien son nom), par exemple avec cette longue, agonisante séquence de zapping à la télévision au début du film, où toutes les émissions les plus cruelles et irrespectueuses, mais pourtant réalistes, s'enchaînent. Alors les mots de Frank, sertis dans des dialogues ciselés, tantôt hilarants, tantôt profonds, prennent certes parfois la tournure d'un discours de vieil aigri, mais résonnent surtout d'une vérité dérangeante et inattendue. Et à travers l'humour et le jenfoutisme, on se retrouve, sans prévenir, à s'interroger sur son propre comportement.


C'est en partie pour ça que ce film accomplit un exploit rare : plus on y repense, plus on l'apprécie. C'est sans doute aussi dû à la fraîcheur du duo des personnages, à leur psychologie touchante et subtilement bien explicitée, et à la relation complexe, peu conventionnelle et belle qui s'instaure entre les deux, à travers un jeu impeccable pour Joel Murray, torturé mais porteur d'un message simple, et Tara Lynne Barr, flippante et directe. Le tout est saupoudré d'amusantes références à la pop-culture américaine, qui viennent faire oublier le côté attendu que prend quelque temps le schéma narratif, avant de se redresser en une fin magistrale et tarantinienne, qui sait sublimer un long-métrage subversif, aussi drôle que tragique, aussi léger que profond.


lundi 29 octobre 2012

"The We And The I", Michel Gondry

Dans son nouveau film, beaucoup moins promu que les précédents, Gondry s'attache à un bus de banlieue new-yorkaise, le dernier jour d'école de lycéens qui vont se déchirer, se chercher, s'attirer, vivre comme toujours. 


Le piège de ce huis-clos mobile résiderait dans la claustrophobie qu'il induirait, mais le véhicule se trouve tellement empli de vie et de portraits variés, qu'il en paraît gigantesque et seulement rarement étouffant. Et alors, à travers trois parties découpées de façon un peu superflue dans le long-métrage, les arrêts du bus accordent une bouffée d'air, aux spectateurs comme aux personnages. Car c'est là tout le concept alléchant du film : montrer, à travers les descentes successives des lycéens et la déconstruction progressive des castes qu'ils constituent, comme l'effet de groupe se dissipe pour dévoiler des individus de plus en plus sincères. L'idée était prometteuse, et elle est bien exploitée, au moins partiellement. A travers ce casting choral, il est effectivement regrettable de s'arrêter sur certains personnages tout en se débarrassant soudain d'autres au potentiel au moins tout aussi important. Ce faisant, Gondry grève un peu son projet et semble ne pas tirer parfaitement profit de son synopsis passionnant qui aurait pu disséquer encore plus la pierre angulaire de la vie lycéenne que constitue ce besoin d'appartenance au groupe.


Cela n'empêche en rien, évidemment, une succession de bons moments, alors qu'ils alternent à une vitesse vertigineuse entre humour, chagrin et cruauté. Ce rythme se fait de plus en plus effréné, jusqu'à se heurter aux limites et aux conséquences de la méchanceté généralisée de l'univers où sont obligés d'évoluer autant d'adolescents à la fois prisonniers et tortionnaires. On se retrouve alors face au vrai visage d'un monde sans cesse chahutant, sans cesse criant fort pour que l'on ne remarque pas ses faiblesses : l'analyse est aussi percutante que véridique. Dans cet enfer, en impeccable synchronisation avec les personnages, on se raccroche aux quelques bulles d'espoir disséminées de part et d'autre du film, notamment la touchante relation entre Teresa, personnage parmi les plus touchants, et la conductrice du bus, ou encore les dialogues, certes écrits, mais réalistes jusqu'à l'obsession.


Gondry saura aussi rappeler sa patte par petites touches absurdes en carton-pâte, mais ces inclusions forcées ne feront qu'exacerber le sentiment que ce que l'on a appris à aimer dans son cinéma est absent de ce film, dont le manque de folie se fait ressentir. Si son ambition était méritoire, "The We And The I" semble se perdre dans les méandres de la torturée psychologie adolescente, et peiner à extirper des scènes violemment puissantes dans ce magma de bruit et d'agitation. Malgré ces hésitations, on se souviendra de ce petit film du grand Gondry comme un joli exercice de style qui réussit pleinement à nous replonger, à corps et à cris, dans l'horreur lycéenne.


dimanche 28 octobre 2012

"Pauline Détective", Marc Fitoussi

Prenons Pauline, quarantenaire un brin prise-de-tête, journaliste dans la presse à scandale, se construisant un bonheur irréprochable jusqu'à ce qu'on le lui arrache complètement. Alors, passons à l'Italie, ses Italiens, la sœur star de série B, le beau-frère soumis et le grand hôtel de luxe. Et puis ajoutons quelques affaires de meurtre, juste de quoi rendre Pauline un brin sur-investie dans une enquête qu'elle s'invente au fur et à mesure, pour mieux tromper l'ennui, le chagrin et la crainte de la réalité. Voilà le nouveau film de Marc Fitoussi, successeur de l'excellent "Copacabana", et qui fait un tour vers une comédie indéniable.


C'est bien là le parti-pris du film : un monde enjoué, parfois absurde et toujours kitsch. La majorité des plans sont composés comme autant de patchworks bariolés, les couleurs vives alternent, enthousiasmantes, tout le long du film. Chaque dominante en est caractérisée par les costumes de Sandrine Kiberlain, qui accordent un univers coloré à la Ozon ou à la Fuller, à la fois léché et empli d'auto-dérision. Le délicieux kitsch qui y est saupoudré avec goût achève de faire de "Pauline Détective" une pastille d'allégresse. Les situations, bien que souvent poussives, s'y enchaînent avec une absurdité assumée par le personnage décalé de Pauline.


 Et c'est sans doute là le plus exaltant : voir une Sandrine Kiberlain enfin rayonnante, dans un rôle enfin heureux, enfin souriant, enfin drôle malgré la peine de la protagoniste. C'est elle qui porte le film, délivrant ses répliques rigolotes et concrétisant un personnage peu cerné par l'écriture. Car c'est sans doute là le plus grand manquement du film : tous les personnages sont maigres comme un écran de fumée, unidimensionnels au possible, rendant leur évolution prévisible. A travers cela, seule Kiberlain parvient à briller, mille fois plus que la pauvre Audrey Lamy, qui semble avoir été castée davantage pour sa ressemblance inattendue avec Sandrine, que pour son talent de toute évidence inexistant. 


Alors si par la suite, le scénario laisse à désirer par ses quelques facilités, si l'histoire elle-même tient moyennement debout, et si concrètement on ne peut prendre au sérieux un récit aussi fantasque, c'est justement pour cela que le charme fonctionne et qu'on se retrouve, malgré nous, à vouloir percer les énigmes posées par cet hommage aux sixties. Le dénouement se fait assez surprenant, et aura le bon goût de tout de suite, à nouveau, plonger dans l'auto-dérision, pour faire de ce film sans prétention une des très, très rares comédies françaises réussies, et qui semble ne même pas se rendre compte de son exploit.



vendredi 26 octobre 2012

"Keep The Lights On", Ira Sachs

C'est l'histoire d'une rupture. Une rupture longue, douloureuse, à corps et à cris, contre vents et marées, aussi peu désirée qu'inévitable. Une rupture entre deux hommes qui s'aiment mais qui finissent par apprendre que ce n'est pas assez. Une rupture qui est la seule solution depuis longtemps mais que personne n'ose regarder vraiment en face, avant qu'il ne soit trop tard, et même alors, l'amour est étiré jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce qu'il soit complètement submergé par la fatigue, l'épuisement total qui rend la séparation totale et définitive la seule solution pour survivre en tant qu'individus.


C'est une histoire vraie. Enfin, plus ou moins, une œuvre autobiographique du réalisateur. Cela ne se ressent pas vraiment, et tant mieux ; la seule erreur commise à ce niveau est de s'être aussi peu épanché sur le début de la romance, passant très vite à la longue et agonisante problématique du couple. On manque de temps pour s'attacher aux deux personnages et surtout à leur relation, car à peine est-elle montrée qu'on la voit déjà flétrir. Alors qu'une passion aussi puissante est forcément basée sur un bonheur outrageux. Mais le soin accordé à l'image est délicieux et baigne dans une ambiance rétro, les plans aux couleurs automnales s'enchaînent avec grâce et donnent au récit une beauté précieuse malgré son manque d'éclat.


C'est l'histoire d'une épopée. Deux chevaliers dans une quête folle. D'un côté, Erik, incarné par l'attachant Thure Lindhardt, est un réalisateur de documentaire coincé dans son sujet et dans une vie étriquée. De l'autre, Paul, le changeant Zachary Booth, avocat dans le placard, addict et déchiré. Les personnages s'élèvent, se combattent et s'attirent irrémédiablement, toujours plus loin, toujours plus fort, toujours plus mal. Le jeu des acteurs principaux leur apporte les nuances nécessaires tout au long de la décennie de l'histoire. Le scénario s'embourbe et s'embellit de ce conflit constant, comme un merveilleux accident au ralenti ; il n'y a rien à faire, rien à dire, et pourtant on accroche, on suit, on continue, nous aussi.



C'est une histoire d'amour. Un amour passionné, qui malgré les cris et les disputes et les retours en arrière et les problèmes de chacun et l'incompréhension, restera pour toujours une des plus belles histoires d'amour de la vie de ces personnages, si ce n'est la plus belle. Et n'est-ce pas déjà complètement merveilleux ?