mercredi 29 février 2012

Ce que l'on écoutait en Février 2012, à usage de nos descendants.

Florence + the Machine - Ceremonials


Je n'aurais pas tenu longtemps, moi qui souhaitais préserver ce deuxième album pour plus tard, encore fortement épris du premier. Je préférais prévoir de le découvrir plus tard, lorsque je me serais un peu lassé de "Lungs" et de ses "B-Sides", pour un plaisir parfaitement renouvelé et un délai d'attente du troisième album moins long. J'ai ainsi un peu rechigné à l'écouter, une fois reçu. Mais la curiosité face à ce qu'avait bien pu inventer Florence Welsh pour la suite a été plus forte.


Cette suite se nomme "Ceremonials". Le ton est donné : ce sera solennel ou ce ne sera pas. Comme beaucoup d'artistes avant elle, après une première phase d'expérimentation un peu folle et immédiate au premier album, Welsh se tourne vers une musique plus léchée et réfléchie. Orchestrée. Cérémonielle. Moi qui adulais "Lungs" justement, au contraire, pour sa spontanéité crue et si sauvage, j'ai d'abord été un peu déçu. Ce qui choque tout de suite, c'est l'homogénéité de cet album. Là où "Lungs" se divisait clairement, dès la première écoute, en plusieurs catégories, de "tubes" à "pépites cachées au fin fond du disque", "Ceremonials" met de prime abord tous ses titres sur un même pied d'égalité. Si les choix de singles ne surprendront pas, presque toutes les chansons pourraient en fait y prétendre. Parce qu'elles gardent toutes ce qui caractérisait aussi FATM : cette sorte de mélange entre la balade et le tube, grâce à une maîtrise incroyable de l'instrumentation, des rythmes et surtout de la structuration des morceaux. Si les coupures intra-morceau ne sont plus aussi évidentes, elles restent présentes et permettent des envolées toujours aussi puissantes. Que l'on se rassure, donc : Florence + the Machine délivre une musique qui est toujours aussi douce, violente, originale, ancienne à la fois. Magnifique.



On retrouvera donc au milieu de couplets endiablés des refrains incroyablement entraînants par des percussions mystiques, à coups de "No Light, No Light" ou "Shake It Out". Des morceaux plus sombres auront le même effet : que ce soit l'ouverture, "Only If For A Night", ou le premier extrait, "What The Water Gave Me", on se retrouve circonspect, perdu entre la douce noirceur du thème mélodique et cette façon que la chanson a de nous amener sans prévenir vers une sorte d'orgie musicale. Les chants de Florence + the Machine, s'ils sont plus civilisés, gardent quand même une valeur primale, à travers une énergie optimiste qui est dépeinte dans des titres comme l'enthousiasmant "Heartlines" ou l'amoureux "Spectrum". Le plaisir de la musique transparaît aussi paradoxalement même dans les morceaux aux sujets plus tristes, par une sorte d'ironie dévorante, ("Breaking Down", "Leave My Body"). L'album, s'il est effectivement plus léché et plus solennel, reste prometteur de la même irrévérence sonore, de celle où on aime à se perdre sans le vouloir, de celle qui brouille les limites comme jamais entre les genres musicaux : à la manière des hypnotiques "Never Let Me Go" ou "Lover to Lover", les chansons de Florence + the Machine se trouvent toujours quelque part entre la prière, le tube, l'hymne et le thrène. Une expérience aussi unique que méritoire.


La Grande Sophie - La Place du Fantôme

La Grande Sophie (LGS pour les intimes) fait partie de ces chanteurs français sous-estimés, souvent injustement mis dans le même sac que les mauvais, alors que cette artiste possède un réel talent. Il faudrait que tout le monde puisse la voir en concert : cela suffirait à convaincre les plus réticents que La Grande Sophie mérite sa place, pas du tout fantomatique, dans les rayons "rock français" de la Fnac. Mais je vous en reparlerai très prochainement... En attendant, voilà son sixième album, dont le titre présageait qu'elle continuerait la route entreprise sur l'excellent album précédent, "Des vagues et des ruisseaux". Là, et à l'époque où tout le monde faisait le contraire, Sophie avait quelque peu délaissé les morceaux pop racontant une petite histoire de ses collègues (dont on se lassait au bout de cinq écoutes, cf. Renan Luce) pour se tourner vers un versant plus acoustique. Aujourd'hui, elle accentue l'introspection.


Tout d'abord, LGS se met un peu en danger : forte de toutes ses expériences musicales (rock, pop, kitchen miousic, acoustique, folk...), elle les potentialise et les saupoudre même d'un inattendu mais réussi électro ("Bye Bye Etc."), délivrant notamment un très entraînant premier single, "Ne M'Oublie Pas", qui la rapproche d'une Keren Ann. Par la suite, c'est tout un voyage intimiste et en noir et blanc qu'elle nous propose, confessant pour une des première fois ses peurs, notamment la sempiternelle fuite du temps, avec "Tu Fais Ton Âge", signé de son écriture si reconnaissable, à la fois naïve et lucide. D'autres balades, comme "Peut-Être Jamais" ou "Sucrer les Fraises", dont les textes poétiques, tout aussi précis que flous, se marient avec des musiques riches et intéressantes. Si Sophie ne résiste pas à délivrer quelques chansons plus rondes et acidulées, comme la chanson-liste "Quand On Parle De Toi", elle finit surtout par nous achever avec sa meilleure botte, avec deux morceaux absolument parfaits. Le premier "Ecris-Moi", est le condensé d'une déclaration d'amour, d'une promesse d'éternité, d'une confession de peur de voir l'autre partir. Le second, "Suzanne", aussi énigmatique que merveilleux, finit en beauté cet album aérien.


Ainsi, s'éloignant un peu de l'insouciance rock ou de la naïveté textuelle de sa jeunesse, La Grande Sophie se livre et se délivre. Elle offre alors un album d'une cohésion et d'une beauté rares, et prouve, si c'était encore nécessaire, qu'elle porte bien son nom.



Voilà, c'est tout pour ce mois-ci. Parfois, on préfère se consacrer pleinement aux découvertes du moment, sans se lasser des dernières trouvailles des mois précédents. J'ai passé Février à écouter encore et toujours Emilie Simon, Lilly Wood & the Prick, Feist, Brisa Roché, Björk, Camille... Et puis j'ai fait péter le porte-monnaie et je viens d'acheter plein de nouveaux disques. Les rumeurs évoquent Regina Spektor, Pink Floyd, Rodrigo y Gabriela, Kate Bush, Patti Smith, PJ Harvey, Adrienne Pauly... Alors rendez-vous dans un mois! Désolé de ne pas avoir été très présent ce mois-ci, mais je ne peux pas en dire autant de vous, qui avez quand même été au rendez-vous jour après jour !

Et merci à Brisa Roché d'avoir ajouté mon blog dans ses liens suite à mon précédent article. N'hésitez pas à retrouver son site en bas de la page, dans mes liens. Et surtout à écouter sa divine musique!

lundi 27 février 2012

Je regarde des films de gros pédé, partie 1.

Oui bon voilà. C'est genre l'histoire d'un mec qui ne poste pas sur son blog pendant super longtemps, paraîtrait-il qu'il est en stage et que tu comprends c'est compliqué (même si en vrai, il finit à 15h, ce qui est une sorte d'aberration pour l'externat au CHR, mais que bon, ça, personne n'a besoin de le savoir, à part ses camarades de promo pour bien leur donner la mort d'avoir choisi un stage de chir où tu as le droit de finir à 20h si tu as couché.), que ses études ne sont pas faciles (même si en vrai, il ne fait que colorier au Stabilo des listes jouxtant d'excentriques photos d'hémorroïdes (grands dieux, les recherches Google que je vais encore me taper avec des mots-clés pareils...)), qu'il doit aussi se consacrer au théâtre (même si en vrai, le talent, c'est évident, il l'a dans le sang), à l'amoureux (même si en vrai, leur histoire est depuis longtemps terminée, rapport à l'incapacité du sus-nommé à lui fournir le nombre nécessaire de visites sur ledit blog, chiffre unique garant de sa survie), et autres excuses parfaitement valides.

Mais la vérité, c'est qu'il était occupé à regarder DES FILMS DE GROS PEDE. Et comme ça vous a manqué et que la vague de suicides ainsi engendrée commence à faire un trou très inesthétique dans mon compteur de visites, il va vous en parler. Enfin, je. Moi, quoi. Bref. (Ceci n'est pas une pub pour Canal +, NOUS AVONS LE DROIT DE DIRE BREF SANS ÊTRE FAN DU GROS LOURDAUD PAS DRÔLE QUI SIGNE LA MORT DE L'HUMOUR DU TROISIEME MILLENAIRE.). Bon.

C.R.A.Z.Y., de Jean Marc Vallée
En tapant de mes longs doigts agiles le titre de ce film de gros pédé (disons FGP, ok, histoire de ne pas fatiguer lesdits doigts (hihi, lesdits doigts, les dix doigts, hihi)), je me rends compte que je me dois de vous parler du facteur "ah c'est pour ça que ça s'appelle comme ça!". (Nom plus musical à venir.) Vous savez, il s'agit de ce moment du film ou du livre où on vous montre pourquoi il s'appelle comme ça. C'est comme dans "Les poupées russes" de Klapisch : vous êtes allés voir ce film sans trop vous interroger sur le nom, vous le regardez, et soudain, on vous balance l'explication dans la figure. Et il y a alors une sorte de puissant rapport intrinsèque qui se crée entre vous et le film, comme s'il vous avait dévoilé son vrai visage. Il vous a demandé d'accepter son titre sans poser de questions, parce qu'après tout, c'est lui qui décide ; et au bout d'un moment, vous êtes assez proches pour qu'il vous révèle, comme une confidence sur l'oreiller, pourquoi il a été ainsi nommé. Et il ne vous le dit pas clairement, il évoque son sujet, il prononce les mots du titre, et soudain vous comprenez. C'est la magie du cinéma, un peu, quoi.


Vous l'aurez compris, ce film de gros pédé n°1 qu'est C.R.A.Z.Y. possède le facteur que je viens de vous décrire avec mon habituelle logorrhée dont vous vous êtes tant languis. Et en plus, cette révélation vient à la toute fin, alors même que vous ne vous étiez jamais posé la question, et c'est encore plus fort. D'autant plus que cela remet en perspective tout ce que vous venez de voir, soulignant le caractère avant tout familial, voire fraternel, de cette histoire. Car pour les moins pédérastes d'entre vous, sachez que C.R.A.Z.Y. suit la vie de Zachary, au sein de sa famille et de sa fratrie (quatre frères), alors qu'il essaie de trouver sa place, de déterminer qui il est, et d'accepter son homosexualité malgré le regard réprobateur de son idole de père.


Et ce film, une fois qu'on s'est habitué aux délicieux accents et formulations canadiennes, nous emmène au plus profond de ce long et douloureux processus identitaire. Par une réalisation intelligente et réfléchie, les différents repères de Zac sont constamment perdus et retrouvés, entre religion et rébellion, par un très puissant sens du symbolisme. Les peurs, les difficultés, les doutes du protagoniste sont retranscrites à merveille, aussi bien en tant qu'homosexuel (fif!) peinant à s'assumer, qu'en tant qu'enfant qui veut répondre aux attentes de ses parents. Le film évite alors un premier écueil en restant universel. (N'hésitez donc pas à contester mon appellation de FGP, c'est ce paradoxe qui m'habite.)

Tout repose sur un scénario intelligent qui navigue à travers les années sans jamais nous perdre en route ni nous ennuyer. Il est mis en scène avec une minutie qui permet de capturer tous les émois de l'enfance, de l'adolescence et du début de l'âge adulte. C'est en effet grâce à cette incroyable précision que l'on ne peut s'empêcher de se retrouver dans les bêtises enfantines, et la terrible lucidité qu'ont parfois les enfants; puis dans la folie des premières attractions, l'ambivalente relation des parents, l'enfer de la vie commune en famille, et l'errance post-adolescente pour régler une fois pour toutes les éternels conflits.


Si quelques passages apparaissent un peu inévitables dans cette exode temporelle, elle se paie cependant le luxe d'éviter la majorité des clichés du genre, grâce à l'adoption du point de vue nerveux d'un personnage principal parfaitement dessiné, et interprété à merveille par Marc-André Gondrin. Ne reste alors qu'une grande impression de réalisme, le tout plongé dans l'ambiance somptueusement reconstituée des années 70, faisant de C.R.A.Z.Y. un film sincère, beau et infiniment riche.

Week-End, de Andrew Haigh
Ce très joli film raconte une rencontre, comme des centaines de films avant lui. Une de ces rencontres dont on n'attendait pas grand-chose et qui se mue d'elle-même en quelque chose d'inattendu et d'inexorable. Une de celles qui ne demandent rien mais changent tout. La différence notable est qu'il s'agit de la rencontre de deux hommes, comme il y en a encore finalement très peu.

Tout le film baigne dans ce que beaucoup appelleraient "la question homosexuelle". Les réflexions des personnages autour de leur sexualité, leur communauté et leur identité sont passionnantes et profondes, et parleront sans doute à tous les LGBT. A travers les mots des deux protagonistes, les points de vue s'opposent et se rejoignent, se nuancent et se répondent. Sont parfaitement mises en scène des réactions fréquentes : l'homosexuel qui croit s'assumer mais se cache encore en fait face à celui qui s'est tellement battu qu'il finit par créer lui-même des fossés, à force d'avoir dû en enjamber. L'homosexualité est dépeinte comme elle l'est entre homos : évidente, normale, attendue, mais fondée sur une souffrance commune.


On observe la frénésie avec laquelle ces hommes qui font tout pour que ce trait de leur identité ne soit rien de plus que ça aux yeux de la société, s'obsèdent paradoxalement sur cette même caractéristique. Comme ils sont forcés par les autres à devoir toujours en parler pour qu'un jour, on n'ait plus besoin d'en parler. Là où le film réussit le mieux, c'est qu'il n'y a là aucun militantisme excessif ni aucune revendication vindicative. Le film sait qu'il n'est pas adressé aux homophobes et ne prône pas directement l'ouverture : il s'adresse plutôt aux homos ou aux gay-friendly en montrant les violents conflits moraux que les individus jugés différents intériorisent même s'ils s'en défendent. Une réussite psychologique fondamentale.

Au-delà de ça, "Week-end" marque par le réalisme de ses dialogues. Il fait partie de ces films qui parviennent, à la manière d'un Allen ou d'une Delpy, à capturer la spontanéité des conversations de la vie réelle, loin de l'alternance calculée de répliques récitées. C'est ainsi la performance des acteurs qu'il faut saluer : Tom Cullen campe un Russell contrasté, complexe et captif, tandis que Chris New offre un Glen multidimensionnel, à la fois confiant et blessé. Par ailleurs, la réalisation enchaîne des plans intimistes et furtifs, subjectifs et émus, tandis que la mise en scène crée un univers tamisé, un peu grisâtre et froid, mais assez accueillant.


Dans ce contexte, la jolie relation qui se dessine entre les personnages fleurit : on la suit alors qu'elle s'intensifie à chaque minute. Elle possède la force de l'évidence tout en apparaissant irrémédiablement éphémère par nature. Il y a une sorte de lente urgence dans l'attachement des personnages, dont on tombe amoureux en même temps qu'eux-mêmes l'un de l'autre grâce à la distillation réfléchie des informations à leur sujet. Ainsi, lorsque la fin arrive, on ne sait pas ce que l'on souhaite le plus... Mais le choix que le scénario prend semble, d'une manière ou d'une autre, le bon, et fait de ce récit l'une des rares premières pierres de la collection des films d'amour qui se trouvent être entre deux personnes du même sexe, tout comme ses personnages eux-mêmes regrettent de ne pas en voir plus. Il apparaît alors comme un message d'espoir envers les homos, et un message d'amour envers tous.

vendredi 10 février 2012

"Elles", Malgorzata Szumowska

Du charme et de l'ennui. A l'image des étudiantes prostituées auxquels il s'attache, le film ne dispose que de charme et d'ennui. Voici le synopsis tel qu'il est présenté sur les divers sites promotionnels : "Anne, journaliste dans un grand magazine féminin enquête sur la prostitution estudiantine. Alicja et Charlotte, étudiantes à Paris, se confient à elle sans tabou ni pudeur. Ces confessions vont trouver chez Anne un écho inattendu. Et c’est toute sa vie qui va en être bouleversée."


Le concept est alléchant, il est vrai. Mais en ce qui concerne "c'est toute sa vie qui va en être bouleversée", cela apparaît pour le moins faux. Le principal problème à ce niveau est la structure narrative du film : on suit la journée d'Anne alors qu'elle rédige son article et se remémore les interviews, où sont déjà montrés les souvenirs que les deux jeunes femmes évoquent. A travers tout cela, on a du mal à percevoir le changement supposément opéré chez la journaliste, qui apparaît plutôt comme l'immobile cliché nauséeux mais jamais vraiment critiqué de la riche bourgeoise bcbg. L'acte le plus probant d'un bouleversement, dont elle se rappellera vers la fin du film, était le piège que le film devait absolument éviter et dans lequel il plonge tête la première avec fierté, décrédibilisant son propos. Pour le reste, malgré quelques réussites notoires (la scène de masturbation dans les toilettes) qui sauvent le film, l'évolution soi-disant bouleversante du personnage ne parvient pas à convaincre qu'elle est autre chose qu'une maigre crise existentielle chez une triste bourgeoise, sujet ennuyeux par excellence. Fort heureusement, le tout est rattrapé par l'excellente performance de Juliette Binoche, toujours aussi magnifique, lumineuse et talentueuse.


Le vif du sujet, quant à lui, concerne donc ce phénomène grandissant de la prostitution estudiantine. Le film semble se targuer de s'attaquer là à un sujet qu'il prétend plus tabou qu'il n'est réellement, mais il a cela dit le mérite d'être traité avec justesse. Sans jugement, sans condescendance, sans victimisation, sans cliché, sans non-dit. Sans propos aussi ? Le seul argument que Szumowska semble finalement soutenir est que les hommes sont des porcs, tous autant qu'ils sont, et sont les seuls coupables. Probablement un peu faible (mais à ce titre, l'épuisant Louis-Do de Lencquesaing est un choix de casting évident, logiquement abonné aux rôles de riches salauds). Néanmoins, si le personnage d'Alicja, admirablement mal cerné (et par conséquent, mal dirigé, et par conséquent, pas très bien joué), laisse parfaitement de glace, celui de Charlotte, interprété par la douce, remarquée et toujours un peu trop lisse Anaïs Demoustier, intéresse beaucoup plus. C'est elle qui aura (fera?) les scènes de prostitution les plus marquantes, pas par le trash superflu comme pour Joanna Kulig, mais par le touchant, le violent ou le banal. On remarquera de délicieux plans-séquence, une très bonne lumière et un jeu brillamment nuancé.


Que retenir de "Elles", pour conclure ? Szumowska sait filmer : outre les réussites déjà évoquées, elle livre des plans fixes très soignés, un discret et efficace esthétisme dans la mise en scène, et, de manière générale, une sorte de douceur dans son agréable réalisation. Sa production ne manque alors pas d'un certain charme qui captive pendant quelque temps. Ensuite, il paraît clair qu'à l'image de son personnage principal, elle s'embrouille dans son sujet, se reposant déjà sûrement trop sur son simple postulat, certes intéressant et dérangeant, que les jeunes femmes puissent prendre du plaisir à leur dangereux métier. En découlent beaucoup de moments intéressants; mais le reste est traité avec une sorte de nonchalance non assumée tandis que tous les aspects et conséquences attendus sont brandis les uns après les autres. C'est alors que perce l'ennui, de plus en plus dévorant alors que le film n'arrive pas à trouver quelque chose à dire, et laisse un goût de déception : cette idée sera maintenant classée "déjà faite", et quel dommage qu'elle n'ait pas été saisie en premier par quelqu'un qui aurait su la tirer jusqu'au bout plutôt que d'aveuglément traiter sa surface en profondeur.

jeudi 9 février 2012

"Millénium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes", David Fincher

J'ai lu il y a quelques années les deux premiers tomes de la saga suédoise "Millénium" de Stieg Larsson. Le rythme est haletant, le style est simple, parfois erratique, mais apporte un éclairage souvent captivant sur l'histoire, extrêmement bien pensée et complexe, et les personnages, riches et denses. Cela dit, la longueur du récit m'a temporairement découragé de sa poursuite, et l'envie de consacrer mes lectures à d'autres auteurs a pris le dessus, tant et si bien que ce n'est que ce mois-ci que j'ai rouvert le troisième tome pour en redémarrer la lecture. En somme, j'aime bien "Millénium". Je n'ai pas vu les films suédois, eux-mêmes tirés d'une série télé qui les présente en version plus longue (et que je regarderai préférentiellement à l'occasion). Pour cette adaptation américaine, disons que bon, heureusement que la promotion en est faite depuis longtemps : on a pu depuis passer plus ou moins outre ce sentiment de profond agacement face à cette manie américaine de voler les meilleures réussites européennes pour en faire une resucée inintéressante façon "qui veut gagner des millions". Ne restait que la curiosité.


Je ne peux pas encore m'adonner au passionnant exercice comparatif des versions, mais je dois avouer que j'ai malgré tout une bonne impression de cette adaptation américaine. L'histoire est bien suivie, quitte à ne pas garder le climax pour le dernier quart d'heure mais à s'attarder davantage sur les aboutissants lors de la dernière demi-heure. Certaines libertés sont bien sûr prises : si certaines ne dérangent pas trop (absence du séjour en prison de Mikael), d'autres sont bien plus gênantes, comme des détails de la fin, car même si elles sont en soi de bonnes idées, elles ne justifient pas de dénaturer le travail de l'auteur pour autant. Mais on touche là à l'éternel débat de l'adaptation de livres au cinéma, ainsi closons la discussion en concluant que oui, l'adaptation est imparfaite, mais qu'il nous faut nous contenter du fait que Fincher nous livre ici un film palpitant, dont le récit est cohérent, intelligent et suffisamment fidèle. Et au moins, malgré un générique inquiétant qui semblait confirmer toutes nos craintes face à la potentielle incompréhension du sujet, il ne tombe pas du tout dans l'habituelle et impardonnable dérive d'en faire un film d'action sans fond, mais en garde la subtilité pour en réaliser un film policier complexe.

Le rythme est donc soutenu, et évacue les hésitations des personnages du livre pour construire un récit plus dynamique, particulièrement au début où les événements s'enchaînent à une vitesse folle. Fincher a sûrement retenu ses leçons après son interminable "Zodiac", où l'histoire était infiniment diluée jusqu'à une résolution parfaitement anticlimactique... Ici, par la suite, seront à peu près mis en scène le temps qui passe et le travail astronomique effectué par les deux enquêteurs amateurs. En attendant, l'alternance des différentes histoires avant qu'elles ne se recoupent toutes est intelligente et aide à éloigner tout ennui pendant deux heures et demie. Elle est aidée en cela par une réalisation vive et moderne, qui ne s'attarde peut-être pas assez sur l'esthétisme, mais fait preuve d'une redoutable efficacité, soutenue par une musique adaptée et rarement pesante et constituée de plans à la fois classiques et modernes. Fincher sait ce qu'il veut filmer et comment il veut le filmer, cela se ressent et c'est d'autant plus plaisant.

Le casting n'est pas en reste : certains personnages secondaires trouvent un acteur à leur exacte mesure, tels que Geraldine James, parfaite en Cecilia, et Robin Wright Penn, évidente Erika Berger. Si la multitude de vieux hommes affiliés à la famille Vanger passe davantage inaperçue, il faut reconnaître que Daniel Craig s'impose en tant que Mikael Blomkvist. Malgré les réticences quant à son physique un peu trop "star de cinéma", il délivre là une performance satisfaisante : sans emmener Mikael beaucoup plus loin que son personnage, déjà assez limité dans le développement dans le livre, il en donne un portrait assez fidèle. Là où le bât blesse réellement, c'est justement là où tous les yeux étaient rivés : Rooney Mara dans le rôle de la "nouvelle" Lisbeth Salander.

Lisbeth Salander est le personnage clé et fétiche de la saga, celui sur qui toute l'histoire repose, celui qui a fait ingurgiter ces milliers de pages à des milliers de personnes. Le personnage est novateur, impressionnant et complexe. Il y avait des raisons de s'inquiéter quant à la performance d'une actrice dans ce rôle difficile... Et il se trouve que Rooney Mara, malgré sa transformation physique, n'a pas compris le personnage. C'est à se demander si elle a même lu le livre. Dans une interview, elle confie que Fincher lui a laissé carte blanche pour son interprétation... et elle fait donc de Lisbeth une personne certes surdouée, mais complètement autiste, souvent très gênée socialement, voire ridicule. Là où la vraie Lisbeth Salander, celle de Largsson, avait une extrême confiance en elle et une force morale indestructible. La performance de Mara est incohérente avec le personnage et avec les événements des futurs épisodes, que l'actrice découvrira sûrement pour la première fois avec le script. Espérons que le tir sera alors rectifié, car il s'agit bien là du plus gros défaut du film.

Ainsi, au total, cette nouvelle adaptation de "Millénium", malgré ses libertés prises parfois dommageables, ne tombe pas dans les travers impardonnables des remakes américains et livre à la place un long-métrage haletant, intéressant et sombre, à peine grevé par la piètre performance de l'actrice principale.

jeudi 2 février 2012

"Parlez-moi de vous", Pierre Pinaud

Karin Viard campe le rôle d'une célèbre chroniqueuse radio qui répond aux interrogations amoureuses et sexuelles des Français tout en maintenant sa propre identité sous un secret absolu. Mais étonnamment, le film s'éloigne rapidement de ce sujet tape-à-l'œil pour se focaliser presque entièrement sur la vie privée de cette fameuse Mélina, en fait prénommée Claire, dont la vie en solitaire est grevée par la recherche de ses origines... C'est ainsi qu'elle ira sur les traces de sa mère, qui l'a abandonnée à la naissance, et rencontrera la nouvelle famille de celle-ci.

Le film est donc avant tout un portrait : celui de l'éternel paradoxe de la star anonyme et de la conseillère perdue. Pinaud met un point d'honneur à dessiner son personnage principal : si certaines scènes résonneront bien de la souffrance et de la solitude de Claire, beaucoup d'autres traits de mise en scène et de direction de jeu sonneront très faux. On pense par exemple aux TOC caricaturaux de Claire, son besoin de contrôle beaucoup trop explicité, et son côté bourge bien trop mis en avant en comparaison avec les provinciaux, dans un essai comique raté. De manière générale, le film se plante dès qu'il essaie d'être drôle, malgré une Karin Viard qui fait du mieux qu'elle peut et qui, ce sera dit, joue plutôt bien pendant tout le film ; là encore, mieux dans le drame que dans la comédie.



Parce que côté drame, il se passe vite beaucoup de choses, et en même temps très peu. Le film a l'intérêt de retranscrire une frénésie lancinante : on ressent tous les changements par lesquels passent la vie du personnage, mais aussi cette sorte de lent immobilisme dans laquelle elle se plonge à la fois. Le personnage, malgré ses gros traits, en devient plus touchant, plus humain, dans son constant regard blessé sur les événements. C'est là une des réussites d'une mise en scène autrement bien trop proprette et simpliste. D'ailleurs, certains retournements de situation sont certes honteux de prévisibilité, et le film finit même par arriver à un point où l'on s'inquiète de la façon dont il va se terminer, tant semblent se dessiner un happy end sans ambition.


Mais c'est là que le film trouve tout son intérêt, celui qui, malgré ses défauts, le fait sortir de la surface et de la moyenne des films français. Sans trop en révéler, disons qu'il se finit d'une façon à la fois touchante, intelligente, réaliste et sincère. Après une scène tout à fait démentielle où le personnage sort enfin de ses gonds pour réclamer l'amour qui lui est dû, elle s'assagit. Si sa vie n'en finit pas métamorphosée, le très beau discours de fin démontre, par son écriture fine, les changements, nécessaires et suffisants, qui se sont produits en elle grâce à toute cette histoire. C'est en ça que le film devient bon et intéressant : il nous aura fait croire jusqu'au bout qu'il se laisserait aller aux pièges de la facilité, quand soudainement il se redressera pour offrir une fin, et donc une histoire, à la fois juste, belle et vraie.