mardi 31 janvier 2012

Ce que l'on écoutait en Janvier 2012, à usage de nos descendants.

Bon.
Alors.
Euh.
Oui, bon, voilà : comme vous pouvez le voir, j'ai respecté ma tradition : je vous fais un article "music time capsule" pour ce premier mois de 2012. C'est déjà ça.

Mais il est des mois, comme ça, où on a peu de découvertes musicales. En ce début d'année, attiré par d'autres choses, j'ai écouté peu de musique. A fortiori, j'ai écouté peu de musique nouvelle. J'ai profité de l'argent de Noël pour m'offrir quelques disques, mais presque uniquement des disques que je connaissais déjà et que j'avais envie de posséder, à moitié dans une visée parfaitement consumériste, à moitié dans un objectif de soutien des artistes parce que je suis quelqu'un de bien, moi. Bon. Quoi qu'il en soit, voici ce que j'ai écouté en janvier 2012 (et dont je ne vous ai pas encore parlé ces derniers mois).

Eels - Daisies of the Galaxy

Le seul nouveau disque de la playlist "Janvier 2012" sur mon iPod. J'ai toujours aimé Eels, et depuis quelque temps, j'ai décidé d'y prêter une oreille plus attentive, album par album. "Beautiful Freak" était comme dans mes souvenirs du groupe, mais avait cette inattendue patte un peu expérimentale, très roots, avec un son particulièrement spontané. En comparaison, "Daisies of the Galaxy" est plus posé, présente un rock toujours aussi bon mais plus léché, avec moins d'aspérités. Les chansons se découvrent comme des petites pépites presque indépendantes : la joyeuse balade "I Like Birds", l'éternel hymne "A Daisy Through Concrete", ou encore la triste "It's a Mother Fucker". C'est donc dans un autre dynamisme que se place cet album : le groupe semble s'assagir un peu, mais ne perd pas dans la qualité, et garde son originalité, avec notamment l'inclusion de la piste "Estate Sale" qui vient scinder l'album, ou le dernier morceau : l'énergisant "Mr E's Beautiful Blues".




Bon, on en est là pour les découvertes du mois. Mais puisque j'ai pris le temps en ce mois de janvier de ré-apprécier d'anciens albums, je vais vous en faire part, et vous n'avez même pas votre mot à dire, parce qu'ici, c'est moi qui commande, ok ? Bon.

Radiohead - Amnesiac
Radiohead est le meilleur groupe au monde. Voilà.
"Amnesiac" suit le meilleur album du meilleur groupe au monde, "Kid A". Il en est le direct successeur, presque le petit frère, il contient d'ailleurs des pistes additionnelles de son prédécesseur. A ce titre, il n'est que peu surprenant que l'album soit tout aussi réussi. "Amnesiac", c'est l'urgence de l'intro rythmée "Packt Like Sardines in a Crushd Tin Box", qui sonne comme une alarme qui se déclenche autant qu'une mélodie dansante. C'est aussi la minimaliste "Pyramid Song", qui semble monter progressivement vers un triste orgasme, et "Pulk/Pull Revolving Doors", en constant aller-retour vers un électro presque inquiétant. "Amnesiac", c'est la mélodie de "Knives Out" et l'instrumentation de "I Might Be Wrong", les expérimentations jazz de "Life in a Glasshouse" avec le son lancinant de "Hunting Bears" : Radiohead se tient toujours en parfait équilibre entre la chute imminente et le sommet atteint, donnant naissance à une perfection musicale inégalée. La sereine urgence. Parce que "Amnesiac", c'est aussi l'hypnotique "Morning Bell/Amnesiac" dont les supplications semblent intemporelles, et surtout l'indescriptible "You And Whose Army?", au-delà des mots, meilleur titre de l'album.
Radiohead est le meilleur groupe au monde. Voilà.




Brisa Roché - Takes

Vous voyez, ce genre d'artiste assez peu connu du grand public mais que vous adorez plus que tout ? Dont  vous jurez le génie à tous vos amis à qui seule la chanson la plus connue dit vaguement quelque chose ? En ce qui me concerne, c'est Brisa Roché, bien que la belle soit de plus en plus reconnue grâce à son talent évident. "Takes" est son deuxième album. Brisa a la particularité de changer totalement de style à chaque opus : le premier, "The Chase" est très jazz, et le plus récent, "All Right Now", complètement rock'n'roll, tandis que ce second disque est plutôt folk-acoustique. Mais à chaque fois, la qualité est au rendez-vous. "Takes", c'est comme une longue traversée en voiture de la Californie déserte : on alterne entre des hymnes diurnes, parfaitement enthousiasmants et indémodables, tels que le célèbre "Whistle" ou "Breathe In, Speak Out" et le fantastique "Heavy Dreaming" ; et des balades nocturnes, mystérieuses et secrètes : "High", "Halway on", ou le psychédélique "Ali Baba"... Entre temps, le charme à la fois sensuel et quelque peu ingénu de la chanteuse fait mouche, grâce à une voix tout à fait unique et un sens de l'instrumentation merveilleux. L'album possède donc cette continuité d'ensemble, tout en contenant des pépites acoustiques comme l'incroyable "Hand on Steel" et des chansons à la fois rythmées et lancinantes à la "The Choice" ou "The Building". Brisa Roché est inclassable, et pourtant elle réussit à tous les étages : sa musique est irrévérencieuse, originale, douce, piquante et délicieuse. Les textes ont une force d'expression rarement égalée, et aident à créer cette ambiance particulière, pleine de soleil d'hiver et de clair de lune, que Brisa Roché, artiste entière, dépeint par sa musique à la fois spontanée et recherchée.




Jeanne Cherhal - Charade


Jeanne Cherhal fait partie de ces artistes français qui risquent à tout moment de devenir énervants et lassants. Les vieux de l'ancienne "nouvelle scène française" d'il y a presque dix ans (Bam, dans ta gueule, le coup de vieux.), celle qui avait charmé par le vent de nouveauté qu'elle amenait sur la musique française qui se résumait avant cela à six ou sept mastodontes et une multitude de chanteurs qui collectionnaient les reprises inintéressantes. On s'était extasié de cette réappropriation du concept "chanson petite histoire" de Brassens avec les instrumentations d'aujourd'hui... et puis on s'était est lassé. Ensuite, ne sont restés debout que ceux qui ont su exploiter leur spécificité supplémentaire (à condition d'en avoir une). En ce qui concerne Jeanne Cherhal, malgré la faiblesse de sa voix, ce sont son talent au piano, son énergie et son humour qui l'ont sauvée. Après "L'Eau", un album aquatique étonnamment riche, elle est revenue il y a quelques années avec cette "Charade". Musicalement, il est moins diversifié que son prédécesseur : ce sont surtout des cordes et toujours du piano. Quant aux thèmes, l'évolution amorcée suit son cours : on met de côté la chansonnette amusante pour arriver à de vrais morceaux beaux et graves, aux textes simples mais forts, tels que l'hymne "Plus rien ne me fera mal" ou la déclaration "J'ai pas peur". Jeanne Cherhal a trouvé là une nouvelle recette qui potentialise ses forces passées tout en allant de l'avant : elle réussit à saupoudrer de son humour candide des textes intéressants enrobés dans une musique plus sobre et posée. A ce titre, on est à la fois intéressé et amusé devant "Hommes perdus" ou "Qui me vengera". Assagie, elle s'amuse encore, mais son travail est plus sérieux, plus mature, plus intime aussi : la très jolie "charade" dispersée le long de l'album forme un très beau morceau. Si la plus belle chanson reste une reprise, la superbe "Mon corps est une cage", qui met Jeanne face aux limites de ses propres textes en comparaison, on se dit qu'elle est sûrement en train de devenir elle-même une artiste émancipée et grande.


lundi 30 janvier 2012

"Tomboy", Céline Sciamma

C'est la touchante et tragique histoire d'un enfant qui est le fils et le grand frère parfaits, et qui arrive à se faire des amis et même une amoureuse dans son nouveau quartier... mais qui, à son grand dam, est en fait une fille.


Pour une telle histoire, tout repose presque entièrement sur le casting du rôle principal, bien évidemment. Le choix de Zoé Héran pour interpréter Laure/Mikaël est impeccable : la très jeune actrice, légèrement grimée, parvient à une apparence parfaitement androgyne. Tant et si bien qu'elle finit par ressembler encore plus à un petit garçon. Tant et si bien que l'on a très souvent du mal lors du film à se rappeler qu'il s'agit en fait d'une petite fille. Tant et si bien que l'on en vient à oublier le tout parfois parfois et penser que c'est un petit garçon qui cache un autre secret. Et c'est peut-être là la plus belle réussite du film : brouiller les limites du genre jusque dans l'esprit du spectateur. Que Laure soit Laure ou Mikaël, pour finir, n'a plus d'importance pour personne. Cela tient aussi bien sûr à un minutieux travail de direction de Zoé Héran, qui, malgré le recours fréquent à la même expression, offre une performance assez remarquable pour un enfant, parvenant à ne jamais être agaçante et toujours juste.


Au-delà du portrait d'une enfant qui est dramatiquement née dans le mauvais corps, "Tomboy" est avant tout un récit sur un âge de la vie. C'est en effet une fascinante plongée dans l'enfance qu'effectue là Céline Sciamma, avec une justesse incroyable. Il est impossible de ne pas être acculé par de nombreux souvenirs personnels et intimes lorsque l'on regarde "Tomboy" : les occupations et les préoccupations des enfants y sont retranscrites avec la candeur et l'innocence nécessaires. La photographie et la réalisation, douces et affutées, contribuent à créer cette ambiance de jeux et de premières fois. L'intelligente caméra de Sciamma capture ainsi l'enfance dans tout ce qu'elle a de beau et de cruel, d'insouciant et de soucieux, de doux et de violent. A ce titre, les relations entre les personnages sont crédibles et recherchées : les amitiés infantiles et les premières amours sont touchantes, dans leur côté dérisoire et pourtant indispensable. En ce qui concerne les parents, Mathieu Demy et Sophie Cattani sont bons mais leurs personnages apparaissent un peu trop parfaits dans leur ouverture sans faille à la potentielle transsexualité de leur fille de dix ans : une simple discussion entre les parents aurait suffi à régler le problème. Si le personnage de la petite sœur est parfois un peu trop instrumenté pour faire sourire le public, ce léger défaut est totalement éclipsé par le portrait touchant d'une relation sororale qui se déroule en toute simplicité.

En fait, le film semble nous dire tout simplement que, concernant les choses qui peuvent nous sembler étranges, il suffit tout simplement de les considérer autrement pour qu'il n'y ait plus aucun problème. Une réussite pour Céline Sciamma.


samedi 28 janvier 2012

"Take Shelter", Jeff Nichols

"Take Shelter" rapporte l'histoire d'un homme qui commence à faire d'inquiétants cauchemars apocalyptiques : malgré ses antécédents familiaux de schizophrénie, il penche de plus en plus vers la thèse comme quoi la tempête qu'ils annoncent est en fait imminente...


C'est donc dans l'Est des Etats-Unis que se déroule le film : pavillons proprets, champs à foison et menaces de tornades sont au programme. Les hommes travaillent au chantier tandis que les femmes organisent des soirées, et les LaForche sont ainsi représentés comme une famille américaine banale. Bien que ce soit sûrement une des choses qui mènera le protagoniste dans la peur et la folie, ce trait ne sera jamais vraiment appuyé : si ce n'est une critique, au moins un regard plus prononcé sur l'Amérique d'aujourd'hui aurait été sans doute appréciable, sans pour autant tomber dans l'habituel et émétique parallèle sur la crise économique. Néanmoins, l'ambiance est bien posée, grâce aussi à une photographie très travaillée et une qualité d'image impeccable, dans cet environnement à la fois citadin et rural. Là se lie un éternel rapport de l'homme à la terre, qui sera subtilement remplacé au cours du film par l'obsession de l'abri, qui finira par occuper chaque scène, à l'image de sa prépondérance dans l'esprit paniqué de Curtis LaForche.

C'est donc le point de vue de Curtis qui est utilisé lors de tout le long-métrage. La performance de Michael Shannon ne laisse pas à désirer, bien qu'il soit parfois légèrement éclipsé par l'immense et sublime Jessica Chastain, qui est définitivement en train de s'établir une place parmi les meilleures actrices du moment. Ainsi, le spectateur connaît, comme le personnage principal, l'oscillation épuisante entre les rêves et la réalité. Malheureusement, le schéma narratif des rêves étant extrêmement redondant, leur intérêt est rapidement réduit une fois que l'on en a compris le principe, et il est de plus plombé par une réalisation pseudo-film-d'horreur mal venue. L'intérêt se situe plutôt du côté de la réalité, où l'on assiste à la lente descente de Curtis LaForche dans l'obsession paranoïaque. Si cette évolution peut être intéressante à regarder car le personnage est ciselé avec réflexion, il apparaît néanmoins que très rapidement, l'enjeu s'essouffle et le film devient beaucoup trop long : on se retrouve à observer Curtis évacuer progressivement de sa vie tous les éléments qui l'effraient, et sa vraie plongée dans la panique arrive abrupte mais arrive tard.

C'est alors que la limite entre le réel et l'imaginaire devient intéressante, voire trépidante, amenant le public à s'interroger à chaque péripétie sur la véracité des cauchemars : Curtis est-il fou ou voyant ? L'interrogation sans cesse renouvelée parvient à être trépidante vers la fin du film. Elle est malheureusement gâchée par une très mauvaise fin, à la fois superflue et surtout non assumée. Nichols, au lieu de s'arrêter sur un merveilleux passage, après une scène riche en tension et en émotion, choisit d'ajouter une dizaine de minutes inutiles, comme pour créer un dernier twist tout à fait dispensable, comme s'il voulait épaissir son histoire par un dernier retournement de situation. Mais le film, trop occupé à montrer les incessantes pérégrinations mentales de son personnage, n'a pas préparé le terrain pour cette fin. Et surtout, l'interprétation laissée ouverte au spectateur sonne davantage comme une paresse que comme une idée de génie.

Si "Take Shelter" a été encensé par la critique (4.6/5 sur Allociné), rapproché de la portée métaphysique de "The Tree Of Life" ou de la toute-puissance narrative et suggestive de "Melancholia", il convient ici de calmer les ardeurs. Le film de Nichols est certes bon, mais se cache trop derrière sa réalisation réfléchie, ses acteurs talentueux, sa mise en scène précise, pour dissimuler son incapacité à mener une critique, dresser le portrait d'une génération ou tout simplement dire quelque chose. A la place, le soufflé retombe un peu : après une histoire un peu lente mais qui comporte des scènes très réussies et des idées captivantes, tout est saboté, comme si soudain Nichols craignait qu'on lui reproche son manque de créativité. On aurait préféré une œuvre cohérente et moins prétentieuse - dommage.

vendredi 27 janvier 2012

"Bruegel, le Moulin et la Croix", Lech Majewski

Cet étrange film historique retrace une journée pendant laquelle vivent les personnages du tableau "Le Portement de Croix" de Bruegel l'Ancien, journée expliquant ses choix de composition de l’œuvre.


Ce qui choque tout de suite, ce sont les procédés esthétiques utilisés absolument inédits. Les décors mélangent décors réels, images 3D et inclusions picturales (dudit tableau, donc). Le résultat est toujours beau et hybride, à la fois suranné et moderne, plat et en relief, faux et réaliste. Il baigne le long-métrage dans une ambiance particulière, entre l'exercice de style et la restitution historique. Parce que ce qui fonctionne également, c'est l'intérêt porté, à travers la toile et le film, pour l'effet direct des grands événements historiques (ici, l'occupation par les Espagnols) sur la vie quotidienne de personnages issus de tous les milieux. L'action se déroule loin des palais royaux et l'intérêt n'en est encore que plus saisissant, lorsque l'on observe la vie d'enfants insouciants et de femmes endeuillées. Se concentrer non pas sur les enjeux géopolitiques, mais sur les para-phénomènes, sur les conséquences sociales d'un tel régime, les réactions familiales après les exécutions. Les émotions plutôt que les décisions, afin de coller au mieux à l’œuvre de Bruegel.


Car c'est là une réelle explication cinématographique de cette toile magistrale qui comporte des centaines de figures. Le symbolisme y est décrypté, la composition en est expliquée, le contexte en est restitué. Bruegel apparaît, grâce à Rutger Hauer, parfaitement plongé dans l'époque, comme un triste observateur de sa génération, qui décide d'en rendre compte par ses moyens presque discrets. Le tableau n'est pas encore important en tant qu'objet, comme aujourd'hui, mais en tant que pamphlet. Le film est donc un film d'histoire, tant il rapporte avec plus de justesse qu'un manuel scolaire en serait jamais capable, les conditions de vie de nos ancêtres, lors des conflits politiques dévastateurs d'alors ; mais c'est surtout un film d'histoire de l'art. A ce titre, on aurait envie que la caméra s'attarde encore plus longuement sur le tableau lorsque, dans un long plan final, elle s'en écarte comme si elle en sortait, elle qui l'a filmé sous tous les angles pendant 1h32. Certains plans sont d'ailleurs magistraux, comme l'étude presque mystique du fameux moulin, dont Majewski part à l'ascension vertigineuse.


Dans cette analyse profonde, la majestueuse Charlotte Rampling se fait presque trop voir, telle un anachronisme ou une inclusion noble là où elle n'aurait plus rien à faire, malgré son utilisation merveilleuse en tant que madonne endeuillée. Ainsi l'émotion perce malgré la lenteur de l'histoire, qui en désintéressera sûrement certains, mais sonne au contraire comme une lente et précise observation de la toile, presque comme une leçon sur le faible temps passé dans les musées devant chaque œuvre d'art, que l'on consomme maintenant comme des frites ou des serviettes, là où leurs créateurs ont passé des heures à s'adonner à une minutie incommensurable. Majewski nous emmène sans hésiter au cœur de cet art, et offre ainsi une expérience esthétique et intellectuelle terriblement ambitieuse, et parfaitement hors-du-commun.


lundi 23 janvier 2012

"Las Acacias", Pablo Giorgelli

J'aime le cinéma sud-américain. Voilà. Il faut dire que l'an dernier, avec Medianeras et Bonsai, il était difficile de ne pas en venir à cette douce conclusion. Alors j'ai envie de sauter à la généralisation excessive et dire que j'aime le cinéma sud-américain. J'en connais une qui me dira sûrement que yé né dois pas rhénéraliser comme ça, qué yé né vois qué les deux meilleurs films par an de trois pays. Et c'est vrai. Alors, contentons-nous de : J'aime le cinéma sud-américain qui parvient jusqu'en France. "Las Acacias", quant à lui, parle d'une rencontre. Rubén, camionneur mutique, accepte d'emmener Jacinta et son bébé Anahi du Paraguay à Buenos Aires.


C'est donc une sorte de road movie latin, avec la traversée d'une Amérique du Sud représentée chaude et poussiéreuse, disproportionnellement immense et pourtant étrangement homogène, unie par cette langue commune. Les originaires du même pays sont des voisins, et les voyages de plusieurs jours sont monnaie courante. Le paysage défile par les fenêtres du camion, et aussi par le rétroviseur de Rubén qui ne regarde jamais en arrière. A l'intérieur du véhicule, trois personnes : Jacinta va refaire sa vie, Anahi vient de commencer la sienne, Rubén a mis la sienne entre parenthèses depuis des années. Et tous voyagent ensemble.


La cohabitation se fait dans le silence. La grande réussite du film, c'est sa capacité incroyable à l'économie verbale. Pour quelqu'un d'aussi délicieusement logorrhéique que moi-même, c'est inconcevable ; et pourtant, Giorgelli y parvient avec brio. Toutes les conversations qui n'ont pas lieu entre Rubén et Jacinta sont évacuées, elles se passent en extérieur, sans son, du point de vue de celui qui n'y participe pas ; ne sont laissées que les quelques conversations extérieures qui dessinent davantage et à demi-mots la relation touchante et tacite qui lie progressivement les deux personnages. Et leurs dialogues à eux sont rares, distillés au compte-goutte : c'est plutôt par une multitude de situations, de réactions, de regards et d'actions que l'on va comprendre l'évolution des sentiments. Une telle étude de la communication extra-verbale est fascinante. Elle tient beaucoup au jeu des merveilleusement bien castés Hebe Duarte, et surtout Germán De Silva, attachant et bouleversant en ours bourru. Quant à la très jeune Nayra Calle Mamami, on s'étonnera d'un tel niveau d'éveil à son âge, mais elle sera souvent un peu trop utilisée pour le côté "bébé mignon qui attendrit l'assistance". 

mais bon oui d'accord ok c'est vrai qu'elle est mignonne.
Et c'est donc sur ce trajet interminable que se trace le chemin des personnages : les détails sont aussi dilués que la route est longue. Aussi le spectateur est-il subtilement amené à lui aussi ressentir ce sentiment de langueur, à contempler l'admirable mise en scène granuleuse, chaude et sale, la lumière argentine et les décors sud-américains, comme on regarderait le paysage par la vitre en attendant d'arriver. Et quand le but pointe enfin, c'est dans une véritable frénésie que l'on est lancé : tout comme les personnages, on sait que tout va se jouer maintenant, que la tacite relation va devoir se verbaliser ou disparaître, et on vit intensément chaque minute de ce rythme qui refuse cruellement de s'accélérer, jusqu'aux deux scènes de fin où les performances des acteurs s'épanouissent puissamment. Alors, on peut rentrer chez soi, faire le chemin dans l'autre sens mais, comme Rubén, y penser encore et regarder en arrière.


mardi 17 janvier 2012

"Let My People Go !", Mikael Buch

Ruben est un Juif homosexuel français habitant en Finlande. Le décor est posé ? Ajoutez à cela qu'à cause d'un burlesque malentendu, il va se retrouver sans emploi, sans amoureux et sans pays, et devoir s'en retourner dans sa famille très traditionnelle et un peu timbrée, sans jamais savoir où est sa place. Mikael Buch présente donc un film porté à bout de bras par Nicolas Maury, son acteur principal, au milieu d'une réflexion sur la religion, la famille, la sexualité, l'amour et tutti quanti.


Avec une mise en scène amusante, volontairement et délicieusement kitsch, le film se fraie une voie dans la comédie. Malgré ses multiples maladresses, il présente néanmoins plus d'originalité que quinze autres comédies françaises réunies, qui vient faire efficacement oublier la pauvreté de l'histoire qui ne se résumera qu'à une succession de scènes drôles ou ratées lors d'une pérégrination du personnage au milieu des membres loufoques de sa famille alors qu'il cherche à retrouver un sens à sa vie et une réponse à ses questions. Contre toute attente, le résultat tient alors la route par le charme désuet des films qui ne se prennent pas au sérieux, assument leurs erreurs et apportent une ambiance joyeuse et hétéroclite à une jolie histoire d'amour.


Au vu du synopsis, vous pouvez aisément comprendre que c'était donc là un concept parfaitement casse-gueule. Parler pédé au cinéma, c'est un peu épineux. Parler juif, ça l'est tout autant, en fait. En ce qui concerne ce dernier aspect, le bât blesse immédiatement... Si l'on a l'impression que le film tente de nous dire "oui c'est cliché mais les clichés existent pour des raisons", on en garde surtout l'idée écourtée de "oui c'est cliché". A ce titre, s'enchaînent des situations toujours rocambolesques et certes parfois comiques, mais trop dans la démesure superflue. Cependant, ce thème omniprésent parvient à se fondre relativement avec celui de la famille et les portraits de chaque membre se succèdent avec aisance et humour, par un montage intéressant qui, en réalité, ne laisse pas de place à l'ennui malgré la relative vacuité de l'intrigue en tant que telle. En effet, beaucoup de scènes, misant trop sur le potentiel d'une situation, prennent un peu l'eau, mais tout cela sera finalement compensé par les doutes idéologiques de Ruben, sublimés en une très jolie scène de discussion avec le rabbin.


Au contraire, en ce qui concerne le traitement de l'homosexualité, notamment dans une famille religieuse, le scénario de Mikael Buch s'en tire plutôt haut la main : les membres de la communauté connaissent et acceptent à leur façon l'orientation sexuelle de Ruben, qui lui-même la vit bien. Les différentes réactions sont recueillies avec une grande justesse, notamment les réticences rationnalisantes maternelles et le grand frère bourru mais jamais homophobe. Le film est bien sûr aidé en cela par l'interprétation très naturelle et spontanée de Maury et par sa voix de tapette. A l'image de tous les autres aspects de l’œuvre, si des dérives sont constatées (toute cette histoire burlesque, exagérée et trop longue avec le vieil avocat), elles sont largement rattrapées par des moments simples d'une redoutable émotion (subjectivité inside), notamment dans les difficultés de la mère, finalement vaincues lors de la scène finale qui parvient à transformer ce film qui jongle entre les genres en pure et réelle histoire d'amour.


lundi 16 janvier 2012

"Louise Wimmer", Cyril Mennegun

Louise Wimmer, bientôt cinquante ans et un visage taillé au couteau, vit dans sa voiture après un échec familial. Entre un travail miteux, les dettes qui s'accumulent de toutes parts et les demandes sans cesse différées pour avoir un appartement, elle tente de résister à la pression.


Louise Wimmer est Corinne Masiero. Cette phrase digne d'une promotion américaine, tout le monde s'entête à le répéter, et pour cause : Corinne Masiero est Louise Wimmer, Louise Wimmer est Corinne Masiero. Une telle adéquation de l'acteur au personnage n'avait pas été remarquée depuis longtemps ; la performance est incroyable. Le film tient de tout son poids sur les maigres épaules osseuses de l'actrice, qui semble se jeter corps et âme dans la peau de l'héroïne à chaque scène. Ainsi, tout "Louise Wimmer" tient sur Louise Wimmer, qui tient sur Corinne Masiero. En conséquence, la réalisation, quant à elle, se fait souvent gentiment oublier, un peu simple et frileuse, avant de percer à travers des idées de mise en scène absolument géniales, comme la magistrale et courte scène où Louise voit une prostituée tourner autour de sa voiture, comme l'idée et la hantise de devoir elle aussi s'y résoudre, juste après une scène où le spectateur est conduit à y penser lui-même.


C'est donc surtout Corinne Masiero qui va porter le film d'un bout à l'autre, rendant son personnage étrangement fascinant et jamais détestable, malgré (ou en raison de) ses failles et ses échecs. C'est un peu subjugué qu'on la regarde évoluer dans tous les aspects de sa vie : mère déchue, épouse partie, amante fermée, professionnelle incomprise, amie déchirée, femme complexe et droite, et surtout victime sociale. Louise Wimmer devient un portrait de la solitude moderne. Toutefois, un portrait est par définition figé ; à ce titre, le film apparaît parfois un peu trop statique et, à l'image de son héroïne, va de l'avant parce qu'il le faut, sans autre but que l'attente de la résolution. En attendant, l'intrigue est faible ou inexistante ; si c'est donc justifié et excusé par la performance fascinante de Masiero, l'absence d'enjeu se fait parfois cruellement ressentir. Le film s'arrête sur une résolution logique mais simple, et signe alors un léger manque d'ambition. Cependant, heureusement, en ressortant de la salle, ne reste que le souvenir du visage de Louise Wimmer, hargneuse, blessée et courageuse.

dimanche 15 janvier 2012

"Shame", Steve McQueen

Qui n'a pas entendu parler de "Shame", avec son concept subversif, son synopsis plein de promesses (tenues) de zizis à l'écran et son affiche élégamment bandante ? Peut-être mes quarante-deux visiteurs de Suisse (Tom*21+ZZ*21?), chez qui tous les films arrivent avec un retard des plus désarmants. A leur attention, donc : "Shame" est l'histoire d'un homme sex-addict qui organise ses journées autour de sa délicieuse obsession, jusqu'à ce que l'arrivée soudaine de sa sœur dans son appartement et sa vie vienne bouleverser ses petites habitudes physiques. Maintenant, chers Suisses et autres, vous pouvez constater à quel point le concept est subversif, le synopsis plein de promesses de zizis à l'écran et même l'affiche élégamment bandante :


Avant toute chose, précisons que Brandon est joué par Michael Fassbender et Sissy par Carey Mulligan. Autrement dit, certainement les acteurs parmi ceux qui auront le plus brillé en 2011. Leur rencontre cinématographique était à prévoir, et le résultat produit autant d'étincelles que ce que l'on avait espéré. Ces excellents comédiens vont porter le film à eux seuls, lui donner sa substance là où l'intrigue pêche un peu parfois, en faire une œuvre sombre et captivante, par l'alchimie qui se crée (qu'ils créent?) entre eux, avec une relation fraternelle complexe et puissante. Ils éclipsent absolument tous les autres acteurs, au point de ne même plus se souvenir de l'un d'entre eux.


Et ils sont sertis dans une mise en scène soignée. En effet, la réalisation, dure et froide, vogue tout à fait sur la même vague que celle des films du même genre de ce début de décennie : "The Social Network", "Blue Valentine", "Winter's Bone"... C'est-à-dire quelque chose de précis, de glacial, de désincarné, sans concession. Très masculin et au final tellement travaillé qu'un peu trop lisse. C'est réfléchi et donc plaisant, mais cela dessert parfois un peu le film, qui aurait sans doute gagné à une mise en scène plus riche, plus charnelle, plus chaude, en quelque sorte, à l'image de cette troublante séquence avant la fin.


L'histoire se repose elle aussi un peu trop sur son concept. Il semble que, fière d'avoir osé le pas de traiter un sujet aujourd'hui encore si délicat, elle n'aille pas jusqu'au bout. Ainsi, les réactions des personnages, même les plus poignantes, ne surprennent que rarement, et le déroulement de l'histoire paraît certes logique mais aussi un peu évident. Cela ne retire heureusement rien à la tension générée par certaines scènes, et notamment par la séquence de la dernière nuit, où l'inévitable est là encore en train de se produire, mais d'une façon qui motive l'intérêt du spectateur, espérant jusqu'à la dernière seconde s'être trompé, malgré les incessants indices de mise en scène et d'écriture. Mais le film se termine sur un cruel manque d'ambition.


Car quitte à s'intéresser à ce thème universel, on voudrait alors que le film aille encore plus loin, là où il ne fait qu'exhiber sans cesse des moments se voulant choquants qui ne font qu'effleurer la surface de la sexualité, au lieu de la pénétrer, fort à propos. On aurait voulu un développement plus en profondeur de la psychologie des personnages. Connaître leurs peurs, leurs motifs et leur salut. Explorer davantage le puissant prémisse de cette relation conflictuelle. En venir réellement au cœur ténébreux de la jouissance.

samedi 14 janvier 2012

"17 Filles", Delphine et Muriel Coulin

Inspirées par un fait divers américain, les sœurs Coulin ont décidé de le ré-imaginer dans leur ville natale de Lorient. Dix-sept adolescentes tombent enceintes envers et contre tout : l'ennui, l'absence d'échappatoire, l'autorité...


"17 filles" est un bon film français. La mise en scène est ingénieuse, carrée et esthétique sans tomber dans le maniérisme. Efficaces, Muriel et Delphine Coulin témoignent notamment d'une connaissance intime avec leur ville, dont elles savent filmer avec beauté intéressante l'ennuyeuse laideur. Elles mènent aussi à la baguette leur cohorte de jeunes actrices, dont les profils différents seront réunis sous l'égide d'une direction bien rodée, engendrant un vrai réalisme dans les relations des personnages, malgré quelques répliques superflues. Les actrices ont toutes été incroyablement bien castées (notamment les jeunes Yara Pilartz et Roxane Duran) et en terme de talent, aucune ne ressort vraiment du lot, leur performance chorale étant soignée, intéressante et juste. Si pour des raisons de clarté, le film doit se focaliser sur un plus petit nombre de personnages, chacun trouve sa place et ses caractéristiques, même si l'on aurait envie de développer davantage certains personnages, par exemples ceux de Solène Rigot, d'Esther Garrel et de Juliette Darche. Par ailleurs, par des plans-séquences magnifiques, on comprend en quelques secondes les envies et les doutes des autres filles moins mises en avant.


Le scénario lui-même aide aussi à l'impression de réel, et les différentes raisons de l'acte sont toutes traitées sans jamais s'attarder ni trancher sur une en particulier, et notamment en ce qui concerne Camille, l'instigatrice du "mouvement", qui restera toujours un mystère, parfois de manière un peu regrettable. Toujours en parfaite résonance avec les doutes et les envies de l'adolescence, ces grossesses simultanées semblent à la fois émanciper les personnages en tant que femmes et les enfoncer d'autant plus dans une grave erreur de jeunesse.



Le spectateur parvient ainsi à varier entre ces deux points de vue : d'un côté, l'acte de rébellion suprême, au-delà des volontés des parents et des professeurs ; de l'autre, l'arrêt de mort sociale signé lorsque l'on s'aperçoit que les filles ont en fait choisi le meilleur moyen d'entrer la tête la première dans ce qu'elles souhaitaient combattre. Le film aurait pu aller encore plus loin à ce niveau. On regrettera aussi le grand manque de surprise : le film semble parfois se reposer un peu sur son idée de base, et tout ce qui en découle naturellement. Le déroulement est logique mais sans aspérité, la fin est aussi inévitable qu'attendue, et certains retournements de situation faciles à deviner dès le départ. Fort heureusement, cela ne gâche en rien le plaisir du film dans sa représentation fidèle de l'adolescence, et les questions qu'il pose fort à propos sur le corps, la sexualité, la jeunesse et l'âge adulte, le rapport à l'autorité, en faisant au total une œuvre efficace, très agréable et juste.

vendredi 13 janvier 2012

"A Dangerous Method", David Cronenberg

"A Dangerous Method" suit l'histoire professionnelle et personnelle du célèbre Carl Jung (l'omniprésent Michael Fassbender), psychanalyste reconnu d'abord ami, puis ennemi juré de Sigmund Freud (Viggo Mortensen). Le film replace autour de leur différend le cas de Sabina Spielrein (Keira Knightley), patiente hystérique traitée par Jung à la méthode de Freud qui devint sa maîtresse, puis à son tour psychanalyste.



Le synopsis était alléchant : il s'agissait de narrer les réalités historiques de la naissance de la psychanalyse et de la psychologie au milieu des réticences de l'époque, de dresser le tableau de trois illustres représentants de la disciplines, tout en réhabilitant l'immense Jung, bien moins connu que Freud par la population générale. A ce titre, on appréciera d'assister aux balbutiements de cette discipline résolument nouvelle, dont les maîtres doivent constamment veiller à la crédibilité face à ses détracteurs zélés. La toute-puissance de Freud, en tant qu'instigateur de cette science, est bien retranscrite, et les différences d'opinion avec le jeune Jung sont mises en valeur progressivement. Jamais le film ne tranchera en faveur de l'un ou de l'autre, laissant le spectateur seul juge.


Cependant, le film ne parviendra jamais non plus à entrer dans le débat. Choisissant une durée courte (1h20), Cronenberg ne sait utiliser ce temps : on en perd beaucoup en longues hésitations sur la légitimité de la relation Jung-Spielrein, les ellipses sont nombreuses et mal amenées, et surtout, les grandes discussions entre Freud et Jung sont simplifiées à l'extrême, presque caricaturées. Quand enfin une telle scène perce à travers le mélo romantique, le spectateur est tellement déboussolé par ce soudain revirement qu'il n'a guère le temps de se concentrer sur la substance du propos de chacun. Au contraire, il aurait été largement plus judicieux de faire un film de deux heures où les pensées des deux maîtres auraient eu libre cours pour se rencontrer, échanger, combattre. A la place, on ne trouve que de légères esquisses de leurs dogmes : à peine assez pour justifier leurs querelles et rendre l'histoire principale compréhensible, en y mêlant quelques différends de teneur plus personnelle.



Ainsi, on cherche l'intérêt puisque le focus semble ne se trouver que sur l'histoire d'amour adultère entre Sabina Spielrein et Carl Jung. Les deux personnages cherchent longuement à justifier leur aventure par divers arguments pseudo-rationnels, utilisant impunément la psychologie comme raison : le scénario l'utilise comme panacée, les personnages semblent rassurés de pouvoir se cacher derrière la psyché humaine qu'ils déforment dans le sens qui les arrange le plus, comme une facilité scénaristique. Une telle représentation de la psychanalyse est peu excusable pour un film de ce sujet. Ce sera le cas avec le personnage peu creusé d'Otto Gross, pourtant malicieusement interprété par Vincent Cassel, et qui ne servira au final que de pâle faire-valoir à Jung lorsqu'il cède à la tentation, comme si soudain, sa doctrine psychiatrique se métamorphosait à sa guise. De la même façon, après avoir effleuré très rapidement la psychanalyse de Spielrein par quelques scènes, les fantasmes sexuels de celle-ci apparaissent comme un bienfondé de sa relation avec Jung, seul à même à les comprendre. Ce ne sera de plus jamais aidé par le jeu absolument catastrophique de Keira Knightley qui, toujours touchante dans les histoires romantiques, est tout bonnement pathétique en "hystérique" et ne réussira qu'à scléroser encore davantage cette partie de l'histoire, déjà malheureusement peu appuyée.


Ainsi, dans ce film, tout semble un peu incomplet, un peu bâclé. Beaucoup de sujets passionnants sont évoqués, mais jamais sincèrement traités. A la place, une succession de scènes en rapport plus ou moins direct avec différents thèmes. Les personnages ne seront jamais approfondis, rendant celui de Freud tout à fait transparent et unidimensionnel, tandis que celui de Jung, et malgré les efforts méritoires et impeccables de Fassbender, apparaîtra comme un portrait figé et partiel. Ne restent que les couleurs vives et les plans ingénieux d'une mise en scène soignée, maigre cache-misère de ce film qui semble avoir été fatigué par l'immense étendue du fond de son propos avant même de commencer à le formuler.

jeudi 12 janvier 2012

"La Délicatesse", David et Stéphane Foenkinos

Reprenons. "La Délicatesse" est d'abord un livre de Stéphane Foenkinos (je me rends soudain compte que je n'ai pas la moindre idée de prononciation de ce nom; mais ceci est un blog, ça se passe à l'écrit, et non pas à l'oral où vous pourriez tous jouir de ma voix de tapette : la vie est bien faite, finalement). Face au succès du roman, il l'a adapté au cinéma avec son frère David. Et la bande originale a été réalisée par Emilie Simon, même qu'on en parle ici (à chaque fois que je fais un lien comme ça, j'ai peur du syndrome "pièce jointe", de quand on écrit tout un mail à propos d'un fichier attaché et qu'on ne l'envoie pas ; ben là j'ai peur d'oublier le lien à la relecture. Vous me tiendrez au courant). Et cela parle d'une fille, jouée par Audrey Tautou, dont le mari (Pio Marmaï) décède brutalement, la laissant veuve éplorée jusqu'à sa rencontre avec un Suédois interprété par François Damiens. Maintenant, attention, place aux préjugés. C'est un film classé "comédie romantique", c'est le premier film des réalisateurs dont un est avant tout romancier, ce n'était diffusé qu'à l'UGC et ça fleurait de loin le joli navet mal adapté. Bon. En fin de compte, il ne s'en tire pas trop mal.


Ainsi, l'histoire est ce qu'elle est. Pas énormément de surprises et beaucoup de détours. On ne comprend pas bien pourquoi elle commence à ce moment-là (laissant une vingtaine de minutes consacrées au couple avant l'accident) ni pourquoi elle se termine à cet autre moment. Cet effet in medias res raté délimite mal l'histoire, et une histoire mal cernée, ce n'est jamais bon. D'autant plus si c'est pour zapper purement et simplement le deuil avec une ellipse, certes joliment filmée, mais regrettable, de trois ans, supprimant une bonne partie du potentiel dramatique du récit. Le film consacrera alors le reste de sa durée aux hésitations des personnages, assez interminables par ailleurs. Cela dit, l'ennui ne perce que très peu, grâce à la façon dont la narration est amenée : avec humour, soin et, si j'ose dire, délicatesse.


Délicatesse qui frôle parfois la niaiserie, voire la bêtise ("Je vais tomber amoureux. C'est ridicule !" *s'enfuit* : en effet, c'est ridicule.) mais qui est sauvée par cette sincérité béate et constante, notamment amenée par le jeu simple et amusant de François Damiens. Impeccable en Suédois paumé, il forme contre toute attente un duo assez efficace avec Audrey Tautou, dont la diction est toujours aussi digne de la bouchère insomniaque, mais dont la fragile posture fait toujours son effet. Étonnamment, ce couple fonctionne d'ailleurs davantage que celui avec Pio Marmaï, qui semble un peu là entre-deux, en tant que faire-valoir. En face, on oubliera au plus vite Mélanie Bernier, à l'interprétation digne des plus grandes publicités pour produit vaisselle, et le maniérisme désormais habituel d'Ariane Ascaride. Et on saluera chaleureusement Joséphine de Meaux, qui offre une performance remarquable, ajoutant une corde à l'arc bien tendu de cette actrice française trop méconnue.


Bien sûr, la mise en scène reste très basique, mais ne tombe pas dans le fameux écueil "téléfilm du mardi à quinze heures trentes sur la deux". Au contraire, les frères Foenkinos s'aventurent même parfois à quelques gentilles excentricités, en cela portés par la musique d’Émilie Simon, dont l'adéquation avec le film est difficile à juger pour moi, puisque je connaissais déjà les chansons, mais qui me semble assez appropriée. Peut-être est-ce pour mieux retranscrire la narration du livre, tache d'autant plus aisée que l'auteur est réalisateur. Je ne l'ai moi-même pas lu, et tant mieux, car je pense que j'aurais été déçu, l'écriture se caractérisant a priori par un humour qui n'est presque jamais retrouvé dans l'adaptation. C'est dommage, car le film aurait gagné à avoir plus de relief et de piquant. Il n'en reste pas moins une œuvre agréable, cohérente et sans prétention.

samedi 7 janvier 2012

Ce que l'on écoutait en Décembre 2011, à usage de nos descendants

Même pas je laisse tomber la tradition ancestrale (trois mois quand même!) parce que je suis en charrette cardiologique. Même pas. Trop un beau gosse le mec, quoi.
Ajout 07/01/12 : Oui bon, ok, j'ai pas eu le temps de le finir ni de le poster à temps, mais voilà, bon, hein, CA VA.

Emilie Simon - "Franky Knight"

Emilie Simon revient très discrètement avec ce nouvel album qui sert de B.O.,  cette fois pour le film "La Délicatesse". Et c'est aussi et surtout un hommage à son amoureux disparu brutalement. C'est ainsi que les chansons de "Franky Knight" se découvrent comme on lit un journal intime. A ce titre, le premier single, magnifique "Mon Chevalier", ouvre le bal et annonce la couleur : "I wrote some songs / They're all for you / There's nothing else / That I can do". Et l'on peut suivre l'histoire d'amour, du début ("I call it love") à la tragédie en elle-même ("Holy Pool of Memories"), puis l'horreur, la tristesse (superbe "Bel-Amour"), l'incompréhension (le vitaminé "Franky's Princess"), jusqu'à l'acceptation avec le puissant et guérisseur "Walking with You". Si l'on a parfois l'impression de s'avancer dans une intimité qui ne nous regarde pas, tant les paroles sont parfois spécifiques à ce qui s'est produit ("I took the first plane that I could / I don't think I understood"), cette multiplicité des réactions évite l'écueil d'un thème trop homogène et sombre. "Franky Knight" ne se pose pas comme l'album pleurnichard de l'endeuillée dépressive ; au contraire, chaque chanson est une magnifique déclaration d'amour au-delà de la mort, de "Something More" à "Jetaimejetaimejetaime". Emilie Simon prend ici un nouveau chemin musical avec brio, tout en gardant les acquis des précédents albums : "Sous les étoiles" sonne comme une suite de "Vu d'ici". Loin des doux chuchotements des premiers albums et des hurlements exutoires du précédent, la voix se fait précise et mesurée. La musique surprend et ravit, avec un piano omniprésent, et l'arrivée des cuivres qui réussit à la chanteuse dont le côté jazz a toujours fait mouche. C'est une ambiance musicale différente pour un album différent, un enjeu différent. Totalement différent et toujours aussi réussi.





Charlotte Gainsbourg - "Stage Whisper, live & unreleased"

Charlotte Gainsbourg revient sur le devant de la scène avec ce double album qui prend le nom parfait à la fois de l'aparté et du murmure.
La première partie contient une bonne poignée de chansons inédites, réalisées avec différents collaborateurs. Le but était de pouvoir expérimenter plusieurs directions différentes, loin de la cohérence d'un album complet. Ainsi, les styles diffèrent d'un morceau à l'autre, l'intérêt aussi parfois, malgré une bonne qualité générale. Ainsi, Charlotte s'essaie (avec brio!) en reine dance avec "Terrible Angels" et "Paradisco", aidée par le fidèle Beck, mais touche aussi au folk avec le plus oubliable "Memoir", ou encore "All the Rain" et "White Telephone", morceaux agréables mais les moins prenants de l'album. Là où Charlotte Gainsbourg se révèle et déploie le plus ses ailes, c'est dans les titres légèrement rock et électro à la fois : l'excellent "Got to let go", "Anna" et "Out of Touch". Globalement, Charlotte Gainsbourg s'essaie à différents styles, s'amuse, se libère : c'est un véritable plaisir en attendant le prochain album.
Du côté du live, j'avais peur. Je n'aime pas spécialement les lives et le concert de Charlotte Gainsbourg à Lille, malgré un très bon moment grâce à la chanteuse adorable et généreuse, avait été marqué par un très mauvais son. Il n'en est rien pour cet album : le son est impeccable, et permet de transformer des chansons dont je m'étais lassé en tubes 2.0, avec notamment l'excellent "Voyage" (où elle dit "oh gri gri", soit dit en passant). Les titres s'enchaînent avec un enthousiasme joyeux et palpable, et on aime redécouvrir dans ces versions rythmées tous les tubes de la belle, du merveilleux "Heaven can Wait" à "The Songs that We Sing", en passant par "Jamais" et cette jolie reprise de Bob Dylan, "Just like a woman".
Au total, l'album concept de Charlotte Gainsbourg est une réussite, où se côtoient en toute hétérogénéité assumée des morceaux aux parcours différents, des collaborateurs, des envies, des idées, le tout dans un enthousiasme si prenant qu'on ne peut qu'adhérer à ces expérimentations amusées.






Lilly Wood & the Prick - "Invincible Friends"

"I said, Hey ! It's okay, it's okay, 'cause I found what I wanted..." Cet album délicieusement underground façon imitation enregistré dans un garage choque par sa spontanéité et son irrévérence. La voix de la chanteuse, entre plainte, caprice et sincérité, a un timbre particulier qui colore l'album d'une moue joueuse. La musique est construite intelligemment, entre les années 80, l'électro d'aujourd'hui, le rock intemporel, et offre des sons et des rythmes à la fois novateurs et indémodables. Le potentiel tubesque de certaines chansons ne dénoue pas avec la qualité, ce qui est assez rare : ainsi, les chansons les plus rythmées sont excellentes, comme la célèbre "This is a Love Song", ou encore "Hey it's okay" et "Down the Drain", merveilleuse ode à la fin du couple. A côté de ça, alternent des chansons plus douces telles "Little Johnny" et "Prayer in C" aux mélodies entêtantes et à l'émotion vraie. C'est donc un premier album très intéressant que le groupe offre, malgré encore une légère immaturité un peu assumée, un peu rebelle, dans la musique comme dans les paroles, du jeune duo qui s'amuse au-delà des attentes des auditeurs.





Yael Naim - "She Was A Boy"

J'en avais ma dose, de Yael Naim. Son premier album était chouette et, entre l'hébreu, le français et l'anglais, parvenait à rendre joyeuse la plus triste des chansons. Et en plus, en concert, elle était généreuse et talentueuse. Et cette bonne humeur incessante m'avait lassé, pour une raison que je ne m'explique pas vraiment, moi qui suis une personne positive comme un rayon de soleil, vous en conviendrez. Ainsi, je ne me suis pas vraiment posé sur le deuxième album de la belle avant aujourd'hui. Et quelle surprise ! L'intention est toujours la même, la musique s'est développée, déployée, elle a grandi comme la végétation luxuriante de la pochette de l'album. Yael Naim est plus sûre d'elle, chante et s'amuse avec les rythmes, les structures ("Go to the River"), les langues ("The Game is Over for mon coeur"), toujours dans un bonheur assumé, une philosophie de vie qui continue à éclairer les ballades les plus tristes ("If I lost the best thing"). Yael Naim s'est concentrée sur ce qu'elle fait de mieux, et le réussit avec plus de brio que jamais. Son nouvel album est à la fois frais et riche, doux et énergique, simple et réfléchi. Et toujours dans cette sincérité incroyable, cet élan de vérité et de simplicité.